COMMUNAUTÉ MUSULMANE: Sur le seuil

La reconnaissance de l’islam par l’Etat luxembourgeois ne concerne que le financement du culte. La perspective d’un cours de religion musulmane a pourtant rallumé le vieux débat sur la laïcité de l’école publique. Sur cette question, la communauté musulmane adopte un profil bas.

Qui peut monter
sur le minbar?
En finançant le culte musulman,
l’Etat luxembourgeois s’octroie un droit
de regard sur
le personnel clérical.
(photo: RK)

« L’islam, c’est la paix, pas les attentats à la bombe. » Claudio Clori, jeune homme en costume cravate, est soucieux de dissiper les malentendus. Il guide un groupe de visiteur-se-s à travers la mosquée de Mamer en cette journée de porte ouverte. Pourquoi Clori s’est-il converti à l’Islam ? Il corrige : pas une conversion, de simples retrouvailles. « Nous sommes tous créés par Dieu, donc nous naissons comme musulmans – littéralement : soumis à Dieu. » Pour Clori, l’islam ne semble pas si différent des autres croyances. Les guerres de religion lui paraissent absurdes : « Chrétiens, juifs, musulmans sont tous frères. Pour ceux qui croient, Abraham est l’ancêtre commun. »

L’ambiance dans la grande tente dressée à côté de la mosquée est tout aussi bon enfant. Les visiteur-se-s se voient offerts des dattes et du thé à la menthe, des affiches expliquent que l’islam « garantit » les droits de l’Homme et traite les femmes bien mieux que la tradition chrétienne. On est loin du cliché d’un islam renfermé sur lui-même et qui oeuvrerait en cachette à fanatiser des masses anonymes de croyant-e-s.

Si la communauté musulmane luxembourgeoise s’efforce de donner une bonne image, c’est qu’elle est consciente des craintes que son existence suscite. Depuis 2001, à la méfiance traditionnelle envers tout ce qui est étranger au Luxembourg s’est ajoutée la peur du terrorisme. Enfin, la perspective de la reconnaissance de l’islam par l’Etat luxembourgeois a relancé le débat séculaire sur la laïcité, le financement des cultes et l’instruction religieuse au sein de l’école. Sur le forum de Sokrates, une des organisations qui ont lancé la récente initiative pour la séparation entre l’Etat et l’Eglise, un intervenant s’interroge : « Qu’avons-nous à faire avec l’islam ? Rien. Nous pouvons aussi bien subventionner les Témoins de Jéhova. Je n’ai pas entendu parler à leur sujet de fanatisme ayant mis en danger d’autres personnes. Du côté des islamistes, on n’entend que cela. » La réponse d’un des administrateurs du site ne s’est pas faite attendre : « Il faut redouter autant nos propres calotins (`Pafen‘) que les autres. (…) Nous sommes contre la convention avec l’islam, mais en même temps nous exigeons la résiliation de celle avec notre propre Eglise. »

Deux idées de l’islam

« La convention est importante parce qu’elle assure une structure », estime Claudio Clori. Cela éviterait de voir apparaître des imams orthodoxes ou même dangereux au Luxembourg. En effet, pour Clori, l’islam est « une religion de la facilité ». Il explique que les règles de prière ou de jeûne peuvent être accommodées dans certains cas. « Le but n’est pas d’embêter les croyants. » Mais, concède-t-il, certains courants musulmans ont des interprétations beaucoup plus rigoureuses. Raison de plus à ses yeux pour que l’Etat luxembourgeois, à travers la convention, s’octroie un droit de regard.

Ce n’est pas le point de vue des laïques radicaux, pour qui le financement des cultes par l’impôt est inacceptable. Les croyances seraient une affaire privée, et l’Etat n’aurait pas à soutenir leur pratique. L’alliance pour une séparation entre l’Etat et l’Eglise (TVKAS), présentée la semaine dernière, regroupe plusieurs organisations de jeunes ainsi que Liberté de conscience et Libre pensée. Elle dénonce notamment les cours religieux au sein de l’école publique ainsi que le financement massif et sans transparence du culte catholique, qu’elle estime à 150 millions d’euros par an.

Laïcité : oui, mais …

« Que le subventionnement des cultes soit inscrit dans la Constitution n’est pas une bonne chose. » Alex Bodry, président du LSAP, dont l’organisation de jeunesse participe à TVKAS, est d’accord sur le principe, mais : « Comment obtenir une majorité pour changer cela ? Je n’ai pas l’impression que la question passionne grand monde. » Quant à la convention avec l’islam, Bodry lui trouve un bon côté : « Cela évitera de marginaliser la communauté musulmane. » Au sein des député-e-s socialistes, il y aurait cependant eu des réserves sur cette reconnaissance, notamment autour du respect des droits de l’Homme et du rôle de la femme. « Mais de telles questions se posent éventuellement aussi pour d’autres religions », estime Bodry. Enfin, en ce qui concerne les cours religieux à l’école, le président du LSAP considère l’expérience du « Neie Lycée » comme une avancée essentielle. En effet, depuis deux ans, la possibilité de choisir entre religion et morale laïque y a été abolie au profit d’un cours unique d’« éducation aux valeurs ». « Nous souhaitons étendre ce modèle à l’éducation primaire et éventuellement le généraliser », affirme Bodry. En attendant, pas question pour le LSAP de donner accès à l’école à de nouvelles communautés religieuses, notamment à l’islam, fût-ce au nom de l’égalité devant la loi.

Alors que le LSAP ne semble pas pressé de remédier à ce traitement inégal, les laïques radicaux en tirent argument pour faire avancer leur cause. « Il faut traiter les religions sur un pied d’égalité », lance Cécile Paulus, membre du comité de Liberté de conscience. Donc, n’en admettre aucune à l’école, à défaut de pouvoir les admettre toutes. « Personnellement, je ne suis pas non plus adepte d’un cours d’éducation aux valeurs », explique Paulus, « la morale, ça ne s’enseigne pas, ça se vit. »

La position affichée par l’eurodéputée CSV Erna Hennicot-Schoepges est tout aussi cohérente : au nom de « l’esprit de tolérance et d’égalité », elle plaide pour l’introduction de l’enseignement du Coran à l’école publique, citant en exemple un projet pilote en Basse-Saxe. Par contre, sa collègue de parti, la députée Françoise Hetto-Gaasch, n’exclut pas une généralisation de l’éducation aux valeurs, ce qui a déclenché de vives protestations du côté de l’Eglise. Etant donné que le LSAP est hésitant et le CSV divisé, le gouvernement essaye de se défausser du problème. « L’introduction obligatoire de l’enseignement du Coran n’est pas prévue », lit-on dans la réponse à une question parlementaire de la députée libérale Anne Brasseur. La question de l’enseignement religieux ne serait pas mentionnée dans le texte de la convention avec l’islam et ne figurerait donc pas à l’ordre du jour.

Quelle intégration ?

Cela semble aussi être l’analyse mise en avant par la communauté musulmane. D’après Franco Bertamé, membre de la shoura, l’assemblée du culte musulman au Luxembourg, il n’y a pas de position officielle sur la question de la religion à l’école : « Ce n’est pas un sujet pour nous, notre priorité est la mise en place de la convention. » Certains membres de la communauté affirment même que les deux approches, cours unique et possibilité de choisir son cours de religion ou de morale, se valent. Bertamé par contre – à titre personnel, précise-t-il – affiche une nette préférence pour une instruction religieuse au sein de l’école : « Cela apprend aux enfants de dialoguer avec des personnes de convictions différentes. » Son appréhension est qu’en bannissant la religion de l’école, on risquerait qu’une partie des communautés religieuses retire ses enfants des écoles publiques et fonde des écoles privées. De l’avis de Bertamé, le choix de la Belgique, qui a ouvert ses écoles publiques à l’enseignement religieux musulman, aurait favorisé l’intégration, alors qu’aux Pays-Bas, l’affirmation de la laïcité aurait conduit à la multiplication d’écoles confessionnelles.

L’argument ne convaincra guère les laïques radicaux : la France, malgré une application rigoureuse de la laïcité, n’est pas confrontée à l’apparition massive d’écoles privées. Quant aux effets sur l’intégration des communautés immigrées, celle-ci se passe aussi mal en Flandre qu’aux Pays-Bas et en France, et un peu mieux en Belgique francophone. L’idée qu’on peut faire de la politique d’intégration en favorisant ou au contraire en entravant la pratique religieuse est peut-être simplement erronée.

www.islam.lu
www.sokrates.lu
www.trennung.lu
www.religionslehrer.lu
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