ANDREW DOMINIK: Kill your idols

Dans « L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford », Brad Pitt interprète un héros américain en fin de course. Un western sur la gloire et la déchéance dans lequel un jeune réalisateur se laisse toutefois emporter par sa propre virtuosité.

Un ange exterminateur a aussi besoin d’une pause de temps en temps …

Ce film est brouillon et brillant. Ou peut-être vaut-il mieux dire qu’il est brouillon, de se vouloir brillant. Pour commencer, il y a la longueur. A l’âge de la célérité, 2h39 c’est un défi lancé à la critique et au public. Il y a aussi ce titre impossible. Il y a Oliver Stone comme producteur et Brad Pitt comme tête d’affiche. Il y a enfin le thème traité, la mort de Jesse James. C‘est-à-dire de l’un de ces héros tirés du répertoire de la mythologie américaine. Issu de cette période où les Etats-Unis se construisent et où une histoire s’écrit, où la terre comme la gloire sont à prendre.

Cet âge d’or qui est encore celui des plaines et des chevaux, mais aussi déjà celui du train et du télégraphe.
L’histoire de Jesse James commence durant la Guerre de Sécession. Lui et ses frères grandissent dans une famille sudiste. Lorsque le conflit éclate, son frère aîné, Frank, s’engage dans l’armée confédérée. Lui-même n’a que seize ans. Il est refusé. Il se joint alors à l’une de ces unités irrégulières qui mène la guérilla dans les collines. Après la défaite, lorsque les deux frères rentrent chez eux, ils retrouvent la ferme familiale saccagée par les Nordistes, leur famille ruinée. Le 13 février 1866, Frank et Jesse James commettent leur premier hold-up. Pendant quinze ans, ils vivront d’attaques de banques et de trains.

Or, au cours de ces années, la popularité des deux frères, et en particulier de Jesse, ne cesse de croître. Ils sont les nouveaux Robin des Bois. Les vengeurs du Sud meurtri. La presse à grand tirage fait d’eux des vedettes. Des romans de quat’sous relatent les étapes de leur épopée.

Pour narrer cette histoire, qu’il a écrite et mise en scène, l’Australien Andrew Dominik s’est emparé avec grâce des archétypes du registre western : la violence, la solitude du héros et, surtout, l’écrasante domination des paysages et des climats de l’Ouest. Mais sa mise en scène n’a rien de naturaliste. Elle ne verse pas davantage dans le symbolisme pur. D’inspiration littéraire, elle s’efforce de mettre à nu l’âme des personnages en une succession de plans lents et rigoureusement construits, d’un formalisme souvent pictural. Contemplative et psychologique, elle permet aux acteurs d’épanouir leur jeu.

L’interprétation de Brad Pitt est à la fois pudique et violente. Clin d’œil voulu à lui-même, il interprète un individu vieilli et enfermé dans sa tour d’ivoire. Un Jesse James qui alterne épisodes dépressifs et accès de brutalité arbitraire. Charismatique et d’une clairvoyance surnaturelle, on le voit se muer en ange exterminateur lorsqu’il s’agit de punir ceux qui le trahissent.

Casey Affleck campe Robert Ford, un jeune homme fragile et obsédé par le bandit légendaire. A la recherche de sa propre destinée, Ford amorce avec son idole une relation ambiguë et périlleuse, faite de vénération et de trahison. A l’issue de celle-ci, il y a le régicide, et la damnation de celui qui faute d’être vénéré détruit son objet de vénération.
Andrew Dominik a défini son film comme « un examen sombre et contemplatif de la gloire et de la perdition ». L’ambition était élevée et le résultat presque à la hauteur de celle-ci : malheureusement il tient trop de l’exercice de style. Pour être extrêmement dense, ce film est finalement plus virtuose que maîtrisé. Il lui manque la sobriété, la justesse et le timing affûté d’« Impitoyable », le chef-d’œuvre de Clint Eastwood auquel il a déjà été maintes fois comparé.

« L’assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford », à l’Utopia


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