Ni drapeau, ni hymne, l’Europe a néanmoins une devise: cause toujours, tu m’intéresses. Lorsque cela les arrange, les dirigeants de l’Union font de la démocratie européenne un paillasson.
« Il n’y aura pas de traité si un référendum a lieu en France, qui serait suivi par un référendum au Royaume-Uni. La même chose se produirait dans tous les Etats membres si un référendum y était organisé. » Ces propos, rapportés par Bernard Cassen dans la dernière édition du Monde diplomatique, sont du président français, Nicolas Sarkozy. Mais voilà, avec la signature du traité de Lisbonne, les dirigeant-e-s européennes, et les faiseurs d’opinion du « mainstream », peuvent souffler. Et oui, ce texte devait passer.
Lors de la dernière campagne présidentielle, Sarkozy annonçait qu’il n’allait pas recourir au référendum, mais au Congrès (chambre et Sénat réunis) pour faire adopter un nouveau texte européen constitutionnel. A cette époque, il parlait d’un « mini-traité » profondément modifié. Entre-temps, le texte pondu n’est ni « mini » (256 pages), et que très peu modifié. D’ailleurs, qui d’autre que Valéry Giscard d’Estaing, ancien président de la Convention qui avait commis le texte précédent, est plus crédible lorsqu’il déclare, dans le Monde : « Les outils sont exactement les mêmes. Seul l’ordre du jour a été changé dans la boîte à outils. » Parce que ce texte devait passer.
De deux choses l’une : ou bien le texte est le même que celui qui a été rejeté au printemps 2005 en France et aux Pays-Bas, et Sarkozy se verrait dans l’obligation au mieux de le rejeter, au pire d’organiser un nouveau référendum. Ou bien il aurait été question d’un autre texte, qui, dans ce cas, aurait aussi dû se confronter à un nouveau référendum. Dans telle hypothèse, ce serait également valable pour le Luxembourg. Mais ce texte devait passer.
Certes, l’argument selon lequel seuls deux Etats sur 25 se sont opposés au texte et qu’ils ne peuvent à eux seuls stopper la « construction européenne », est sans cesse ressassé. Sauf que ces deux Etats l’ont fait par voie référendaire, alors que leurs parlements respectifs auraient certainement avalisé le texte, comme les pays qui ont ratifié. Que serait-il advenu du texte si tous les membres avaient procédé au référendum, après, évidemment, une campagne honnête et équilibrée (ce qui n’était pas le cas en Espagne ou le non n’avait quasiment aucun accès aux médias, et de moins en moins au Luxembourg à mesure que l’on s’approchait de la date fatidique) ? Ce n’est que sous cet angle que l’on aurait pu juger du degré d’acceptation du texte par les populations du continent. Dans ce cas précis, le clivage députés-citoyens est si grand, que la seule ratification parlementaire n’a aucune valeur légitimante. Mais ce texte doit passer.
L’objectif phare de ce texte (de l’ancien et du nouveau), est de donner une légitimation symbolique forte aux politiques passées et à venir dans le cadre des contre-réformes libérales. Le texte de Lisbonne consacre le pacte de stabilité et la sacro-sainte discipline budgétaire, enjoint à l’amélioration des capacités militaires et la libéralisation des services publics, notamment l’énergie, est intégrée au traité.
L’enjeu est de taille pour les ultra-libéraux européens. Les broutilles telles qu’un drapeau ou un hymne ne les intéressent pas. Ils n’ont d’ailleurs pas mis longtemps à purger le texte de ces éléments. Ils n’ont que faire de l’esprit européen, tant que la vague libérale continue à remplir les poches d’une minorité. It’s the economy, stupid! Voilà pourquoi ce texte devait passer coûte que coûte. Voilà pourquoi l’Europe vient d’assister à son premier coup d’Etat institutionnel.