« Bienvenue chez les Ch’tis » un succès qui en dit peut-être moins long sur les goûts cinématographiques des Français que sur leurs peurs actuelles.
« Aus dem Substanziellen seiner Zeit kommt niemand heraus, sowenig wie aus seiner Haut » Pourquoi les ultras du Paris Saint-Germain n’ont-ils pas plus longuement médité ces mots de Theodor Litt ? Ils se seraient épargnés bien des déboires. Car non, l’on n’échappe à l’esprit du temps. Tant que ces SA de gradin se contentaient de vomir leur haine du Juif et de l’Arabe, de faire le salut nazi et de pousser des cris de singe lorsque des joueurs noirs touchaient le ballon, l’on pouvait transiger. Mais oser traiter les Ch’tis, ces nouveaux chouchous de la France, de pédophiles, de chômeurs et de consanguins, cela était absolument inacceptable. De surcroît durant la finale de la Coupe de la Ligue, opposant le PSG à Lens, un match diffusé en prime time sur France2 !
Il y a bien un avant et un après « Bienvenue chez les Ch’tis ». Avant le film de Dany Boon, de nombreux Français auraient, face à un tel événement, probablement cédé au politiquement correcte en déplorant tant de méchanceté, tout en riant sous cape. Avant, le nordiste était ce Bidochon à l’accent picard, le Deschien, le prolétaire potentiellement dégénéré. Avant, il y avait eu l’affaire d’Outreau, cette sordide histoire de pédophilie, durant laquelle l’opinion publique française avait voué au lynchage une dizaine d’accusés qui s’avérèrent, en fin de compte, innocents. L’image déplorable des « Affreux, sales et méchants » peuplant le Nord-Pas-de-Calais, cet univers composé de friches industrielles et de glauques H.L.M. frappés par le crachin, avait grandement participé au fiasco judiciaire.
Tout cela est désormais bien loin, « Bienvenue chez les Ch’tis » a enregistré plus de 17 millions et demi d’entrées et a ainsi dépassé « La Grande Vadrouille », qui, avec ses 17.270.676 tickets vendus, détenait depuis 1966 le record du film autochtone le plus vu en France. A ce stade l’on peut se demander si le phénomène est bien d’ordre cinématographique, car, en fin de compte il y a peu à dire sur le film en lui-même. L’histoire : Philippe Abrams (Kad Merad), directeur d’une agence de La Poste à Salon-de-Provence, est muté à Bergues, près de Dunkerque, pour s’être rendu coupable d’une tricherie administrative. Arrivé dans son purgatoire septentrional, ce fier provençal découvre toutefois la chaleur, la générosité et la cordialité des gens du Nord. Le premier tiers du film est construit autour de deux blagues : un, le Nord, c’est froid, deux, l’accent ch’ti est incompréhensible. Le restant étant constitué d’une série de variations autour de la fable du vilain petit canard ch’ti. Le tout est servi par une distribution honnête et une mise en scène qui a le fort de ne heurter personne par son avant-gardisme.
Non, la force de ce film est ailleurs. Elle est cathartique. Et, dans ce sens, il n’est pas étonnant qu’il ait fallu un « Bienvenue chez les Ch’tis » pour détrôner « La Grande Vadrouille ». Le message est le même dans les deux cas – c’est d’ailleurs aussi celui d’Astérix : « Les Petits sont malins et gentils alors que les Grands sont bêtes et méchants ». Traumatisme de l’occupation, dans un cas ; peur du présent et de la mondialisation dans l’autre, ces deux films ont su trouver le ton juste pour atténuer les angoisses existentielles de la Volksgemeinschaft française. Devant faire face à l’érosion de son pouvoir d’achat, au cul-de-sac politique, à l’influence décroissante de la France dans le monde et, planant au-dessus de tout cela, à l’ombre menaçante de l’étranger, une partie de la société française a décidé de s’identifier aux ch’tis, ces soi-disant déclassés, qui puisent dans les vertus ancestrales de leur terroir la force de faire face aux périls actuels.
Cette semaine à l`Utopolis (Luxembourg), au Sura (Echternach) et à l`Ariston (Esch).