BOULI LANNERS: Quand Ivan rencontre Elie

Dans son dernier film, Eldorado, le génial touche-à-tout belge Bouli Lanners, nous livre un road-movie parfois drôle, souvent bouleversant, toujours profond.

Un soir, en rentrant chez lui, Yvan découvre sa maison mise à sac et le cambrioleur caché sous son lit. Celui-ci, Elie, est un paumé qui ne recherchait que quelque menue monnaie, histoire de se payer le bus et de reprendre la fuite. Au lieu de le flanquer à la porte à coups de pied aux fesses ou d’appeler la police, Yvan se prend d’affection pour son cadet et décide de l’aider à renouer avec sa famille. Commence alors un voyage parsemé de rencontres, à bord d’une vieille Chevrolet Caprice. Un road-movie qui sait à merveille transposer à la Belgique ardennaise les codes américains du genre, sans jamais tomber dans le mimétisme. Une ?uvre à part.

Avec Eldorado, l’acteur, scénariste et réalisateur belge Bouli Lanners signe son deuxième long-métrage. Et que l’on ne s’y trompe pas, derrière ce quadragénaire bedonnant qui semblerait incarner à merveille une « belgitude » festive et ne se prenant pas au sérieux, se cache un auteur profond et un observateur sensible des rapports humains. Des qualités dont cet autodidacte sait jouer avec brio dans un film dépouillé et intense, qui ne se laisse jamais aller à la facilité mais qui est empreint de cette simplicité à laquelle l’on reconnaît le talent véritable.

Ce film est une épopée aussi improbable que riche en émotions. La rencontre entre un homme mûr, en quête de sens, sous la carapace charnue et, apparemment, flegmatique : Yvan, le vendeur de voitures américaines, interprété par Bouli Lanners, qui apparaît pour la première fois dans l’un de ces films. Son jeu simple, juste, naturaliste s’accorde parfaitement avec celui de Fabrice Adde (Elie), bouleversant dans son rôle de toxico, fragile comme une brindille et, finalement, tragiquement prévisible.

Les deux compagnons de hasard arrivent à un moment donné chez les parents d’Elie, dont le vrai nom s’avère être Didier. Le père, militaire, ne veut pas le voir. La mère, les yeux boursouflés de chagrin semble faire le deuil d’un fils qu’elle a pourtant en face d’elle. Abattue, elle ne trouve même plus la force de s’occuper de sa dernière terre d’évasion, le petit jardin pavillonnaire. Yvan convainc alors Elie de venir l’aider à bêcher. Deux déracinés travaillant la terre pour faire taire leur culpabilité. Un acte dérisoire en apparence mais quasiment biblique face à la somme des actes manqués.

L’on retrouve ici les principales obsessions de Lanners : les regrets envers la famille, l’impossibilité d’atteindre l’autre, la désespérante fuite du temps et, en contraste, la beauté fugace du moment que les mots ne sauraient traduire. L’on reconnaît d’ailleurs la vocation de peintre de Lanners dans cette fresque qui ne parle que par l’image.

Car, en fin de compte, la parole n’offre que peu de précision. Des personnages, l’on apprend que ce que l’instant nous en révèle. Quant au territoire, jamais il n’est nommé. Yvan vit « dans les collines », Elie vient de « la ville », ses parents habitent « du côté de la frontière française ». Et pourtant ce sont bien les paysages qui expriment tout. Les hauts plateaux des Ardennes, déserts, avec leurs blés ondulant dans le vent d’été, les sapins noirs comme le chagrin, les vallées embrumées et, toujours, longées de stations service vides, ces routes nationales qui n’ont d’Eldorado qu’une vague promesse.

Eldorado, à l’Utopia


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