Les crises qui traversent les partis socialistes sont les conséquences des éternels reniements de cette famille politique.
Dans un peu moins de deux mois, le mouvement ouvrier fêtera un funeste anniversaire. En janvier 1919, les dirigeants spartakistes allemands Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht ont été assassinés. Ils auraient pu contribuer à changer la face du monde (peut-être en mieux) en propageant la révolution socialiste en Allemagne, qui aurait pu gagner toute l’Europe et ainsi contribuer à la démocratisation révolutionnaire. Avec eux, qui critiquaient déjà Lénine pour son autoritarisme, Staline n’aurait peut-être pas été possible. Mais voilà, il fallut que le SPD s’interposât. Le chancelier social-démocrate Friedrich Ebert, préférant le maintien de la monarchie constitutionnelle au pouvoir ouvrier, fit écraser la révolution de novembre et assuma l’assassinat de ses deux dirigeants.
D’une certaine manière, cet évènement nous rappelle à l’actualité. Car la crise que traverse la social-démocratie contemporaine est bien plus profonde, génétique même, que les luttes de leadership au parti socialiste français ne le laissent croire. Faisons un petit tour d’horizon : luttes intestines au PS en France avec début de défection à la clé. En Allemagne, le SPD ne décolle pas, se voit sérieusement concurrencé par Die Linke et vient de perdre le droitier Wolfgang Clement. En Italie, la mutation de la social-démocratie en « parti démocratique » libéral, laisse les coudées franches à Berlusconi et ne propose aucune alternative à gauche. En Grande-Bretagne, le New Labour ne doit son répit qu’à la crise financière et à la confiance des Britanniques dans les compétences économiques de Gordon Brown. Et la liste n’est pas exhaustive.
Depuis environ trois décennies, la social-démocratie a entamé un processus politique de droitisation. Sous la pression idéologique du néolibéralisme naissant (vers le milieu des années 70), elle s’est convertie « aux réalités », comme elle disait. Sous le terme fallacieux de « modernisation », elle a en fait adhéré au libéralisme. Toute critique fondamentale à ce système, dans ses propres rangs et à sa gauche, était taxée de position « dogmatique », « orthodoxe », voire « archaïque ». Récemment, le maire de Paris, socialiste, qualifiait son adhésion au libéralisme d‘ « audace », comme s’il était plus courageux de se prosterner devant l’argent-roi que de le combattre !
Durant des décennies, et encore maintenant, des dirigeants sociaux-démocrates ont ânonné en choeur avec la droite libérale. A la fin des années 90, alors que 13 des 15 Etats-membres de l’Union européenne étaient gouvernés par eux, le cycle infernal des libéralisations et de la casse des droits des travailleurs a été maintenu, voire amplifié. Mais voilà, les réalités ont la dent dure. Les inégalités se sont accrues et le salariat trinque. La social-démocratie en est également comptable. Sauf que ce salariat qu’elle a méprisé si longtemps lui tourne le dos, car les effets du libéralisme se font ressentir durement. Mais la crise économique mondiale a au moins un effet salutaire : la domination idéologique du libéralisme est ébranlée. L’on redécouvre que le clivage droite-gauche n’est pas dépassé, mais qu’au contraire, ce sont ceux qui le professaient qui le sont. Longtemps aveuglée par le bling-bling libéral, engluée dans des débats vaseux et intellectuellement nuls sur la « troisième voie » ou le « nouveau milieu », la social-démocratie commence à payer la note de son bilan catastrophique. Il n’est pas étonnant qu’elle supporte le moins les secousses de la crise, étant donné que contrairement aux libéraux et à la démocratie chrétienne, c’est elle qui a renié sa base. Qui s’en va peu à peu refonder de nouvelles formations authentiquement à gauche.