NICOLAS STEIL: Epreuve ratée

L’enrôlement de force par l’occupant nazi et les tentatives désespérées des jeunes hommes luxembourgeois de s’y soustraire – un sujet intéressant qui a aurait mérité plus.

Romance sous terre, en temps de guerre.

Le sujet des enrôlés de force luxembourgeois est délicat. Le destin des jeunes hommes des années de naissance 1920 à 1927, qui se retrouvaient face à l’ordre de l’occupant de tuer et de mourir dans son uniforme, a causé des dilemmes personnels et des conflits politiques qui laissent leurs traces même 65 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Que ce sujet difficile soit repris par un Nicolas Steil qui signe avec le film « Réfractaire » son premier long métrage est assez osé. Et en sortant du cinéma, on se dit que l’audace du réalisateur ne va pas de pair avec sa maîtrise du sujet.

Le film raconte l’histoire de François, jeune Luxembourgeois qui comme beaucoup d’autres de son âge se fait cacher par un mouvement de résistance pour échapper à l’enrôlement de force. Dans l’ancienne mine où il se retrouve avec d’autres réfractaires, des conflits surgissent : entre l’universitaire François et son ancien ami prolétaire, entre les leaders d’orientation politique différente, entre les vieux et les jeunes. De plus, la situation précaire en matière d’alimentation et de soins affaiblit les jeunes hommes.

De ce point de départ qui promet le développement de questions intéressantes, il ne ressort malheureusement qu’un film médiocre et superficiel. C’est dû aussi à un scénario lourd et invraisemblable : les deux amis qui aiment la même jeune femme, l’épreuve de François comme messager de la Résistance qui rétablit sa réputation de fils de collaborateur, son initiation sexuelle par une femme mariée en manque, tout cela est présenté sans originalité. Il s’ajoute que la plupart des acteurs et actrices jouent sans conviction, et quelques-un-es sans grand talent. Ainsi, les fans de Thierry van Werveke ne le verront pas ici dans son meilleur rôle. Mais si au début, on s’accommode encore des longueurs, des platitudes et des invraisemblances, le dernier tiers du film frôle le ridicule. Ainsi, la scène de cul est présentée dans un décor de douzaines de chandelles brûlantes, pas très probable en un temps de guerre où les cierges étaient rationnés. Lorsque le médecin appartenant à la Résistance révèle que François est peut-être son fils, on en a vraiment pour son compte. Le tout est arrosé musicalement par les violoncelles sombres d’André Mergenthaler.

Politiquement, le film est également réducteur. Les résistants adultes qui surveillent le groupe des réfractaires sont deux socialistes pas trop sympas – dont l’un surtout est présenté comme marxiste-léniniste invétéré – qui terrorisent leurs jeunes protégés. Par contre, le fonctionnement de la Résistance et les conflits en son sein entre les différents groupements politiques, qui posent le choix difficile entre la fidélité à un pays et l’attachement à une idéologie supra-nationale ne sont pas élaborés.

Mais le film présente encore une difficulté d’un autre ordre : il est en français. Il est évident que pour pouvoir lancer un tel film à l’étranger, il faut disposer d’une version non-luxembourgeoise ou du moins sous-titrée. Mais pour un public local, il semble étrange d’entendre parler un Marc Olinger ou un Thierry van Werveke en français, d’ailleurs avec un accent luxembourgeois. Il est vrai qu’il n’est pas facile de trouver une solution financière à ce problème, mais l’exemple du documentaire « Léif Lëtzebuerger » a déjà démontré que de telles constructions nuisent à l’authenticité d’un film. D’ailleurs, dans « Réfractaire », certaines spécificités historiques sont difficilement traduisibles : si François raconte tout au début du film avoir entendu que les parents des réfractaires « se faisaient déporter », on ne sait pas trop s’il s’agit d’une fausse description – la sanction usuelle était la « Umsied-lung », le déplacement des familles en Allemagne – ou d’une difficulté de traduction mal résolue.

Quoi qu’il en soit, voilà un film superflu sur un sujet qui aurait mérité plus. Car en cela Nicolas Steil a visé juste : le thème de l’enrôlement de force et des déserteurs de l’armée nazie vaudrait bien un film.

« Réfractaire », à l’Utopolis.


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