Face à une manifestation spontanée, non-déclarée, la police grand-ducale cherche et trouve un bouc émissaire.
Mardi dernier, des réfugié-e-s de la partie serbe du Sandjak étaient convoqués au bureau d’accueil pour les demandeurs d’asile à la Galerie Konz, Luxembourg-Gare. C’était de cette manière que, vendredi dernier, trois réfugiés monténégrins avaient été convoqués pour être expulsés manu militari. Rappelons également le rapatriement de force du 2 août, de deux familles albanaises et de trois femmes monténégrines. Le gouvernement luxembourgeois semble surtout vouloir démontrer sa force face aux milliers de réfugié-e-s séjournant actuellement au Luxembourg.
Le „Comité pour le respect des réfugiés et contre les retours forcés“ appelait donc, à partir de lundi après-midi, à un rassemblement urgent devant la Galerie Konz. Les réfugié-e-s convoqué-e-s n’étaient pas présent-e-s. L’intimidation officielle portait donc déjà ses fruits et les concerné-e-s préféraient se cacher plutôt que d’affronter le police luxembourgeoise. Se retrouvaient ainsi, pour cette manifestation spontanée, une quarantaine de personnes venues montrer leur solidarité avec les réfugié-e-s et leur refus concernant d’éventuels retours forcés futurs.
Justin Turpel (membre de „déi Lénk“ et du FNCTTFEL) prit la parole, rappelant le pourquoi de cette action. Après quoi il invita les manifestant-e-s à rester encore quelques minutes avant la fin du rassemblement. Pas d’anicroche donc, ni d’atteinte à l’ordre public. Toutefois la police annonça qu’elle allait dresser procès verbal contre le responsable de cette manifestation illégale, suite aux ordres du directeur adjoint de la circonscription régionale de Luxembourg-Ville, Francis Lutgen.
„Toute manifestation sur la voie publique doit d’abord être autorisée par le bourgmestre. Nous avions plusieurs manifestations de ce genre ces derniers temps, voilà pourquoi procès-verbal est maintenant dressé contre les responsables de manifestations non-autorisées.“ Francis Lutgen se réfère au nouveau règlement général de police, dont on a surtout parlé jusqu’ici à cause des „solutions“ qu’il impose pour „régler“ la prostitution de rue dans le quartier de la gare. Et en donne une interprétation officielle plutôt restrictive.
Ce règlement dit dans son article 2: „Il est défendu d’entraver la libre circulation sur la voie publique sans motif légitime ou sans autorisation spéciale. Les cortèges devant circuler sur la voie publique sont à déclarer au bourgmestre, en principe, au moins huit jours avant la date prévue par les organisateurs.“ Le rassemblement de mardi dernier n’était pas un cortège et il n’y avait pas vraiment d’entrave à la libre circulation. Comme c’était une action „urgente“, vu les courts délais avec lesquels on informe les réfugié-e-s de leur convocation, il semble normal que le temps manquait pour la déclarer.
Qu’à cela ne tienne, la police grand-ducale avait ses ordres et voulait un responsable. Spontanément, toutes les personnes venues manifester se proclamèrent responsables de cette déclaration d’opinions contraires à la politique gouvernementale. Après avoir noté – sans sembler se soucier de la possible „mauvaise publicité“ de la part de la presse toujours présente – 28 noms de „responsables“, la police semblait en avoir marre. Elle ne voulait plus de noms, elle voulait un responsable. „La personne désignée avait pris la parole et dirigeait visiblement les gens“, prétend Francis Lutgen. „Que Justin Turpel ait pris la parole est secondaire au fait d’avoir manifesté sans autorisation. Le principe de liberté d’expression lui en donne le droit. Cela n’en fait pas automatiquement le responsable du rassemblement“, argumente Guy Thomas, avocat, membre du „Comité pour le respect des réfugiés …“, également présent à la manifestation en question.
Après avoir intimidé les réfugié-e-s, les autorités se tournent donc aussi contre les personnes exprimant leur solidarité avec les demandeurs et demandeuses d’asile au Luxembourg. Et le fait que ce soit justement Justin Turpel (faisant partie de la vingtaine de personnes devant faire face à des poursuites judiciaires pour avoir accédé sur le tarmac du Findel, afin d’arrêter l’expulsion d’un ressortissant algérien), qui soit désigné ainsi comme bouc émissaire n’est pas ressenti comme un simple hasard par nombre de personnes.
Justin Turpel sera convoqué par la police dans les jours à venir. Bien qu’il ne devra faire face qu’à d’éventuelles peines de police pour cette manifestation-ci, la politique d’intimidation a tout l’air de s’imposer.
Germain Kerschen
Lundi prochain aura lieu un cortège (déclaré et autorisé), à 17 heures, de la place Clairefontaine à Luxembourg-Ville, jusqu’au ministère de la justice, afin de manifester contre les retours forcés de milliers de personnes dites „non régularisables“, compte tenu des critères restrictifs décidés par la majorité politique.