IRAN: Contradictions

La situation actuelle en Iran interpelle la gauche : certes, elle ne peut que se réjouir de la possibilité d’un effondrement du régime théocratique. Mais elle doit garder en tête que Moussavi, s’il est plus libéral, n’est pas le candidat du peuple.

Souvent, dans le domaine des relations internationales et des conflits militaires, la conscience de l’individu de gauche est mise à rude épreuve. Cette question se posait notamment dans les années 80 lors de l’installation des missiles Pershing sur le sol de la République fédérale allemande. Comment s’opposer aux gesticulations militaristes de l’Otan, sans pour autant se faire l’idiot utile des dictatures bureaucratiques du Pacte de Varsovie ? Un peu plus d’une décennie plus tard, nombreux étaient les hommes et femmes de progrès qui s’opposèrent au bombardement de ce qu’il restait de la République fédérale de Yougoslavie sans pour autant s’enflammer pour la politique pseudo-socialiste et nationaliste d’un Slobodan Milosevic. Du jour au lendemain, celui que les gouvernements occidentaux dépeignaient, pendant la guerre de Bosnie, comme « leader serbe modéré », en opposition à Radovan Karadzic, devint par la suite une sorte de Hitler balkanique, ce qui était évidemment totalement disproportionné. Et que dire de l’invasion de l’Irak, contre laquelle manifestèrent des millions de personnes, y compris aux Etats-Unis ? La majorité des manifestant-e-s était à des années lumières de soutenir ne serait-ce qu’un iota du régime baasiste de Saddam Hussein, personnage qui fit lui-même exécuter communistes et progressistes.

La situation actuelle en République islamique d’Iran met l’occidental de gauche devant un nouveau dilemme. Si nous ne pouvons que nous réjouir à l’idée que la théocratie chiite puisse être définitivement balayée, il est difficile de se convertir en inconditionnel du rival de Mahmoud Ahmadinejad, l’ancien premier ministre Mir Hossein Moussavi. Après tout, il paraît évident que les élections aient été truquées – elles le sont de toute façon, étant donné que le Conseil des gardiens de la Révolution n’admet que des candidats favorables au maintien du régime, dans différentes nuances et tendances. Mais force est de constater qu’Ahmadinejad continue à jouir du soutien des couches populaires les plus défavorisées. Elu déjà en 2005 par ces couches, après avoir promis d’« apporter l’argent du pétrole sur les tables des familles », ce populiste social n’a évidemment en rien contribué à améliorer le sort de ces familles. Au contraire. Et avec sa rhétorique guerrière, il tente d’occulter son échec en matière de politique sociale. Mais la dégradation sociale n’est pas le fruit du hasard. En effet, l’Iran a entamé, dans les années 90, sous la présidence du businessman clérical Hachémi Rafsandjani, une vaste cure de privatisation du secteur public, tout en appelant les entrepreneurs iraniens exilés de revenir au pays dont l’économie allait être vastement libéralisée. Car si les « modérés » ou « réformateurs » du régime se montrent plus libéraux en matière de moeurs et de droits, notamment des femmes, ils le sont également sur le plan économique. Et si Ahmadinejad peut se targuer du soutien inconditionnel du Guide Suprême de la Révolution, l’Ayatollah Khamenei, c’est aussi parce que les partisans de Rafsandjani, qui préside le Conseil des Experts, seul organe apte à destituer le Guide suprême, sont excédés d’avoir été évincés des « affaires » (aussi bien politiques que, surtout, économiques) par l’actuel président au profit de sa propre clientèle. Si la grande majorité des travailleurs iraniens ne peut rien espérer ni de la droite populiste d’Ahmadinejad, ni de la droite bourgeoise de Moussavi, il faut néanmoins noter que les manifestations ont réveillé toute une partie de la gauche, y compris les syndicats qui portent ces revendications sociales et politiques (voir article page 12). Reste que le pire des scénarios serait le maintien du clan Ahmadinejad/Khamenei avec la répression qui s’en suivrait. Si l’idéal serait une nouvelle révolution qui mettrait à bas la République islamique, admettons que la candidature de Moussavi a le mérite, malgré lui, d’ouvrir les vannes d’une contestation qui pourrait déborder ce dernier et provoquer des changements sociaux et démocratiques plus profonds.


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