NUCLEAIRE ET EFFET DE SERRE: Le retour du grand jaune

Si l’opinion publique reste méfiante envers le nucléaire, elle est alarmée par le changement climatique. L’industrie nucléaire tente d’en profiter pour faire redémarrer ses affaires.

„Sortir du nucléaire“, c’est le nom d’un réseau d’ONG françaises qui combattent la politique énergétique actuelle. Pour le moment, c’est plutôt la „rentrée du nucléaire“ qui se prépare. Une commission parlementaire vient de remettre son rapport sur les centrales de l’avenir et le „débat public“ organisé les mois passés par le gouvernement a été clôturé samedi dernier. Les conclusions sont semblables: pour assurer la production d’électricité à partir de 2015, quand les centrales actuelles devront être arrêtées, la France aura besoin du nucléaire. Et pour disposer à ce moment-là d’un type de centrale opérationnel, il faut au plus vite lancer la construction d’un réacteur-prototype. C’est justement ce qu’EDF prévoyait de faire, avec le projet „European pressurized water reactor“ (EPR). En automne, une loi d’orientation sur l’énergie donnera le feu vert et débloquera les fonds nécessaires, si tout va bien.

Sortie ou rentrée?

Si tout va mal, diraient les anti-nucléaires de France et d’ailleurs. Après le succès mitigé des sorties suédoise, allemande et belge, voici l’heure des revers: la Suisse annule son moratoire, la défaite électorale des Verts belges remet en question la sortie, et les institutions européennes continuent à protéger l’industrie nucléaire. Assistons-nous au retour en force du nucléaire? „Non“, répond Claude Turmes, député européen Vert traitant le dossier de l’énergie. „L’industrie nucléaire cherche à sauver les meubles. Il lui est aujourd’hui presque impossible de trouver des capitaux privés pour financer des projets de centrales. Lorsque le marché de l’énergie européen fonctionnera correctement, il n’y aura plus de nouvelles constructions.“

L’argument préféré des adeptes du nucléaire n’est d’ailleurs plus économique, mais écologique. Le nucléaire seul permettrait d’enrayer le changement climatique. Dans une interview à Libération, Michel Spiro, du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), raisonne: „A l’échelle des prochaines décennies, la fourniture d’électricité pour la France ne pourra pas se faire à plus de 20 pour cent (moins de un pour cent aujourd’hui) par les deux énergies nouvelles majeures – éolienne et solaire – en raison de leur intermittence et de leur basse tension. Ajoutez-y 15 pour cent d’hydraulique, il reste 65 pour cent à trouver. Le choix est réduit: charbon et gaz, donc risques climatiques avec un effet de serre renforcé, ou nucléaire.“

Jaune et vert

Simpliste, répliquent les critiques. La priorité devrait plutôt être donnée aux économies d’énergie – le kilowattheure le moins polluant est celui qu’on n’a pas besoin de produire. Enfin des alternatives moins chères que le nucléaire pour réduire les émissions de CO2 lors de la production d’électricité existent. Les investissements nécessaires à la reconstitution du parc de centrales sont infiniment plus élevés à tout ce qui a été dépensé à ce jour pour améliorer les technologies renouvelables.

Quel paradoxe! Les écologistes se sont battu-e-s tant d’années contre les multinationales de l’énergie fossile pour que l’opinion publique prenne conscience de la menace du changement climatique. Aujourd’hui, ils et elles doivent se défendre contre ces mêmes dinosaures brandissant l’argument du changement climatique pour imposer la filière nucléaire. Claude Turmes en a fait l’expérience au niveau des institutions européennes: „Le lobby nucléaire bénéficie d’une grande influence à Bruxelles. Il a tout fait pour continuer à disposer librement des fonds considérables accumulés en vue du démantèlement des centrales. Maintenant, il essaye de faire inscrire des conditions particulièrement favorables dans le texte de la convention européenne.“

Nicole Fontaine, ministre française à l’Industrie, utilise „l’apport du nucléaire à la réduction des effets de serre“ pour relativiser les risques d’accident et de prolifération nucléaire. Elle estime également que le rapport parlementaire montre que des solutions existent pour la gestion des déchets nucléaires. Il est vrai que le niveau de sécurité des centrales a certainement augmenté au fil des ans. Mais la mise en oeuvre de réactions en chaî ne dans des conditions physiques extrêmes est toujours loin d’être maî trisée, comme l’a rappelé l’incident de Cattenom 3 fin de l’année 2000, incomplètement expliqué à ce jour.

Déchets, toujours

Concernant les déchets par contre, une lecture attentive du rapport en question se révèle peu rassurante. Les expert-e-s constatent que „les projections actuelles établissent que les quantités de combustibles usés dans le monde devraient atteindre le million de tonnes en 2040 et qu’alors, pour stocker en l’état ces combustibles, il faudrait tous les deux ans mettre en service un centre de stockage de la capacité du centre américain de Yucca Mountain.“ Il s’agit d’un des seuls centres opérationnels dans le monde, et les difficultés scientifiques et politiques pour en établir d’autres sont énormes. Afin de réduire les volumes et la radiotoxicité, les expert-e-s français-e-s misent sur la „transmutation“, une technologie qui n’existe qu’à l’état d’hypothèse scientifique: „Les technologies de traitement des déchets devront permettre de passer de durée de vie de 300.000 ans pour certains radioéléments à des niveaux inférieurs, dans tous les cas, à 1000 ans.“

Ainsi, même si les arguments en faveur du nucléaire sont trompeurs, ses adversaires auraient tort de s’endormir sur leurs lauriers. L’opinion publique ne sera pas insensible à l’argument du réchauffement climatique. Les gouvernements ayant choisi la sortie du nucléaire devraient hâter l’entrée dans les technologies nouvelles. Car aujourd’hui la démonstration que, grâce aux économies d’énergie et aux ressources renouvelables, on peut se passer du nucléaire reste à faire.

Raymond Klein


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