Le peuple français mène une lutte exemplaire contre la dégradation du système de retraites voulu par Sarkozy et son cabinet. Même si la loi est votée, la bataille n’est pas forcément perdue.
Alors comme ça, la bataille des retraites serait gagnée par Nicolas Sarkozy ? Le projet de loi a été adopté en première lecture tant par l’Assemblée nationale que par le Sénat pour finalement passer la seconde lecture au parlement. Cela aurait mis un terme au conflit. Après la supposée « inéluctabilité » de cette régression sociale, vient maintenant le laïus du premier ministre François Fillon, selon laquelle « la loi, c’est la loi » et qu’il faudrait respecter la démocratie qui se serait exprimée.
La démocratie ? Elle s’est exprimée par millions dans la rue ces dernières semaines et jeudi encore, les syndicats ont appelé à une journée d’action. En effet, la procédure juridique n’est pas totalement terminée. Le président de la république doit encore promulguer le texte. A lui de voir s’il sait entendre le peuple dont il tente souvent, entre deux dîners au Fouquet’s, de se faire le porte-parole. L’on ne s’étonnera pas vraiment de la vision étriquée et minimaliste que les tenants du régime sarkozyste ont de la démocratie. Celle-ci se limiterait à une convocation périodique aux urnes. Ensuite, plus question de contester, encore moins de tenter de peser sur la vie politique.
Sarkozy n’a pas gagné la bataille. D’abord, il l’a perdue sur les idées. Si l’on s’en réfère aux sondages, la majorité des Français-e-s n’adhère plus au mythe démographique que les tenants du néolibéralisme martèlent depuis des décennies afin de repousser l’âge de la retraite. Les Français commencent à comprendre que le financement des retraites n’est pas à calculer sur le rapport entre le nombre d’actifs et d’inactifs mais sur les richesses produites et qui n’ont cessé d’augmenter. Mais depuis la moitié des années 80, la répartition de cette productivité s’est faite au profit du capital et au détriment du travail.
L’agenda des néolibéraux contient une seconde étape qui va de pair avec la première : l’abolition, à terme, du système par répartition et la favorisation en même temps des retraites complémentaires privées. D’ailleurs, il n’est pas anecdotique que le frère du président, Guillaume, grand patron et ancien vice-président du Medef, soit le délégué général du grand fonds de pension Malakoff Médéric. Honni soit qui mal y pense.
Si certain-e-s se complaisent, ici et en France, à se lamenter des Français-e-s si prompts à engager une grève (alors qu’en la matière, ce sont les Danois qui tiennent le haut du pavé), c’est surtout qu’ils-elles ne saisissent pas vraiment ce qu’une grève comprend comme désagréments, notamment une perte de salaires pour les heures qui ne sont pas travaillées. Il est bien plus facile et confortable de travailler que de faire grève. Pour faire grève, il convient de faire preuve de courage et de détermination. Et aussi d’intelligence, car cela indique que l’on a compris les enjeux réels, ce qui n’est pas toujours facile face au battage médiatique qui présente depuis des années cette réforme comme inévitable. Comme quoi, le peuple est bien moins asservi et bien plus lucide que l’élite médiatique.
Evidemment, une autre raison de ce passage en force de Sarkozy est celle d’affaiblir durablement le front syndical en lui faisant perdre cette bataille si essentielle qui est celle des retraites. Sarkozy entend bien faire subir à la France de 2010 ce que Thatcher a fait aux Britanniques dans les années 80 : briser les syndicats afin de mener à bien les contre-réformes néolibérales. Sauf que les temps ont changé : les néolibéraux perdent l’hégémonie idéologique et le grand patronat semble de plus en plus déclencher des sentiments hostiles. D’autant plus que les multiples privatisations ou libéralisations des services publics ont démontré leur inefficacité. Sarkozy a beau jouer aux durs, il ne peut durablement ignorer la volonté populaire. Il devrait le remarquer au plus tard lors des prochaines élections.