L’idée du principe pollueur-payeur en matière environnementale semble judicieuse. Mais que faire quand les acteurs se renvoient la balle afin de payer le moins possible ?
Rarement a-t-on vu une cacophonie semblable à celle des avis relatifs au projet de loi transposant la directive-cadre sur l’eau. Pourtant, quand le texte de loi européen était adopté en 2000, tout le monde était content. La directive prévoit entre autres le principe de la récupération des coûts : les prix de l’eau potable et les taxes d’épuration devront couvrir l’ensemble des dépenses effectuées par les communes et syndicats dans ce domaine. Jusqu’ici, une bonne partie de ces coûts étaient financés par les recettes d’impôts directs communaux et les subventions de l’Etat.
Les libéraux, en attendant la privatisation du secteur, trouvaient l’idée excellente, puisqu’elle établit un coût-vérité, comme tout bien marchand qui se respecte. Les écologistes espéraient que la « main invisible » de la répercussion des coûts réussirait là où les moyens politiques avaient échoué : imposer une consommation plus économe de l’eau et renforcer la protection des sources. Enfin, l’Administration de gestion de l’eau y voyait un moyen pour enfin obtenir les fonds nécessaires pour améliorer la qualité des eaux de surface et souterraines.
Or, à observer la douzaine d’avis relatifs au projet de loi-cadre sur l’eau récemment publiés, le principe de récupération des coûts semble être une fausse bonne idée. En effet, si l’ensemble des acteurs adhère à l’idée d’investir dans la qualité de l’eau, chacun souhaiterait y contribuer le moins possible. Ainsi, du côté des consommateurs, on repère, au minimum, les intérêts divergents de l’agriculture, de l’industrie et des ménages. Et du côté des pollueurs, aussi bien l’industrie que l’agriculture réclament un traitement de faveur, et montrent du doigt d’autres « crados ». Ainsi, loin de donner lieu à une répartition « appropriée » du coût de l’eau comme le voudrait la directive, les différents acteurs luttent pour payer le moins possible.
C’est bien sûr le secteur qui a le plus à perdre qui crie le plus fort : jusqu’ici, les exploitations agricoles profitent de tarifs d’eau préférentiels et sont soumis à peu de contraintes en ce qui concerne la pollution. Car bien que les nitrates, issus notamment de l’épandage de fertilisants, et les pesticides pèsent lourdement sur la qualité hydrologique, le Luxembourg n’a toujours pas établi de zones de protection des sources. Dans son avis, la Chambre d’agriculture reconnait bien qu’il y a un problème, mais elle met en garde le législateur contre un traitement trop rude : « Les tarifs appliqués auront donc un impact direct sur les coûts de production et par conséquent sur les prix des denrées alimentaires. » Par ailleurs, elle introduit le « principe producteur-débiteur », l’idée que le secteur agricole devrait être rémunéré parce qu’il améliore le pouvoir filtrant du sol et contribue au cycle de l’eau.
La Chambre de commerce n’est pas en reste. Elle constate judicieusement que la récupération intégrale du coût de l’eau, jusqu’ici en partie financée par d’autres recettes, entraînera un surplus dans les finances communales. Et demande que la hausse du prix soit compensée par « une diminution des taxes et impôts prélevés, et notamment de l’impôt commercial communal ». Enfin, tout comme les agriculteurs, les industriels pourraient aussi être débiteurs, car dans les entreprises effectuant leur propre épuration, « souvent l’eau rejetée est de meilleure qualité que celle du cours d’eau la recevant ».
A écouter ces deux acteurs, parmi d’autres, on se demande jusqu’où devront monter les prix payés par les ménages afin de rendre justice aux multiples bienfaits de l’agriculture et de l’industrie.
Pour le débat au sein de la commission des affaires intérieures et l’avis de la Chambre des employés privés, favorable aux ménages, voir woxx no 928.
Noter la projection du film « Eau, service public à vendre », suivi d’un débat, le 13 février, 19h, au Centre Neumünster.