Dans « Ma part du gâteau », Cédric Klapisch raconte l’histoire du fossé de haine qui se creuse entre gagnants et perdants de la mondialisation.
Après la fermeture de l’usine dans laquelle elle travaillait depuis près de vingt ans, France (Karin Viard) se retrouve brutalement sans revenus. Lasse d’attendre des indemnités que ses anciens patrons rechignent à reverser, cette quadragénaire divorcée, mère de trois enfants, décide de repartir à zéro. Quittant Dunkerque pour la région parisienne, elle est engagée comme femme de ménage par Steve (Gilles Lelouch), un trader français qui a fait carrière et fortune à la City. Ces deux personnages que tout oppose vont peu à peu apprendre à se connaître – pour découvrir que leurs trajectoires ne sont pas étrangères l’une à l’autre : Steve a, en effet, contribué à couler l’entreprise qui employait France en spéculant sur la baisse de ses actions.
Après avoir abordé les aspects plus festifs de la mondialisation dans « L’Auberge espagnole » et « Les Poupées russes », Cédric Klapisch en évoque la face sombre dans « Ma part du gâteau ». Il faut dire qu’entretemps la crise de 2008 est passée par là et que l’innocence utopique du « village planétaire » a pris du plomb dans l’aile. Le réalisateur, qui signe également le scénario, s’efforce toutefois de brouiller les pistes en recourant à l’un des dispositifs les plus éculés de la comédie à la française.
Gérard Oury et Francis Veber ont ainsi remporté leurs plus grands succès populaires grâce à des films basés sur la rencontre improbable entre deux protagonistes que tout oppose : par exemple un chef d’orchestre imbu de sa personne (Louis de Funès) et un humble peintre en bâtiment (Bourvil) dans « La Grande Vadrouille » ou bien un fonctionnaire benêt (Jacques Villeret) et un éditeur cynique (Thierry Lhermitte) dans « Le dîner de cons ». La trame est toujours la même : après une phase d’agacement les deux personnages apprennent à se connaître et finissent par découvrir leur complémentarité. Cette catharsis se veut également sociale, puisque au-delà de leurs différences de caractère les personnages se distinguent aussi par leur extraction.
Pendant les trois quarts du film, France et Steve semblent suivre cette voie. Quand soudain, au moment même où ils étaient sur le point de s’entendre, intervient un revirement tout à fait inattendu qui révèle le véritable sujet du film. Sans avoir l’air d’y toucher, Klapisch nous parle de « lutte des classes » et de « dialectique révolutionnaire ». Peu importent les personnalités de France et de Steve, ce sont les contextes dans lesquels ils évoluent, qui vont faire dérailler l’histoire. Lui n’est finalement pas un salaud intégral, mais plutôt un homme-enfant, complètement irresponsable et inconscient du mal qu’il crée. Elle est certes une sorte de mère courage, vieillie avant l’âge, à la fois résignée et volontaire. En son for intérieur elle nourrit néanmoins un fonds de désespoir et de violence qui manque de l’emporter au début du film et qu’elle choisira finalement de faire éclater au grand jour.
Le retournement de situation est habilement amené par une mise en scène qui, à mesure que le film avance, devient de plus en plus glaciale. Quant à Gilles Lelouch et à Karin Viard, ils livrent une interprétation impeccable.
A l’Utopia.