VERTS ET POUVOIR: Examen prénuptial

Très présents au niveau des conseils échevinaux depuis les élections de 2005, les Verts se sentent-ils mieux préparés à une éventuelle participation au pouvoir à l’échelle nationale ?

Gestionnaires ou conquérants ? Claude Adam et François Bausch lors de la présentation du bilan parlementaire.

Les Verts au gouvernement ? A comparer le nombre de journalistes attirés par leur bilan échevinal dans la capitale – une bonne douzaine – avec l’affluence lors de leur bilan parlementaire – plus de quarante – on pourrait conclure que, d’un point de vue médiatique, ce serait une mauvaise affaire. Il est vrai que le premier rendez-vous avait lieu mardi matin dans le cadre sérieux de l’hôtel de ville, tout juste égayé par une décoration florale. Le second par contre, mercredi vers midi, se déroulait au restaurant Speltz, avec un bref discours suivi d’un long repas, le tout couronné par une soupe de fraises au porto. Il est sans doute normal que le traditionnel concours du mieux-disant gastronomique des bilans parlementaires des partis attire plus de monde qu’un bilan de législature communale.

Pièce baignée de rayons de soleil à travers les hautes fenêtres sur la gauche, grandes orchidées blanches disposées alentour, large bureau mettant en scène Viviane Loschetter et François Bausch. Hasard ou clin d’oeil, c’est dans la salle de mariage que les Verts de la capitale avaient choisi de présenter le bilan de leurs activités depuis 2005. Alors, cette coalition avec le DP est-elle un mariage heureux? Oui, à en juger par la liste interminable de réalisations dont les deux échevins se disent si satisfaits. Mariage d’amour ou de raison?

Notons qu’au niveau national, le parti vert, traditionnellement ancré à gauche, s’est rapproché des libéraux, pourtant bien plus à droite qu’ils ne l’étaient dans les années 70. De là à conclure au coup de foudre, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Disons plutôt que le DP souhaitait mettre fin au mariage désuni avec le CSV et a jeté son dévolu sur le vainqueur des élections de 2005. Quant aux Verts, ils pouvaient difficilement refuser une telle proposition dans un de leurs bastions électoraux. Mariage de raison au départ, mais union harmonieuse à en juger notamment par les prestations du duo Paul Heminger et François Bausch lors des city breakfast.

Lors de cet exercice « bilan et perspectives » préélectoral, les deux échevins ne se sont faits accompagner ni de leur fraction, ni de leur section, et c’est Loschetter qui s’est taillée la part de la lionne de la présentation. Bronzée, robe à fleurs et collier élégant, elle a passé en revue les réalisations dans ses nombreux ressorts. Education, politique sociale, égalité des sexes, environnement, partout elle a insisté sur le caractère novateur des actions menées. S’exprimant de manière très déterminée, parfois souriante, mais toujours très « pro », elle a fait bien meilleure impression qu’au début de son mandat d’échevine. Cela illustre l’effet formateur que peut avoir l’exercice de responsabilités politiques et devrait encourager les Verts à tenter l’expérience de « pousser » délibérément sur le devant de la scène des « visages nouveaux ».

Une des particularités de l’action politique au niveau communal est qu’elle reste souvent peu visible : les médias préfèrent soit les scandales locaux, soit la « grande politique ». Des innovations telles que le conseil en énergie – un million de litres de mazout économisés par an – ou la refonte des cantines des foyers scolaires selon des critères nutritionnels et écologiques auront des effets considérables à long terme, mais seront peu thématisés durant les débats pré-électoraux.

Efficaces plutôt que différents

Une autre particularité de l’échelle communale est – et cela justifie en partie le désintérêt des médias ? qu’il s’agit de sujets mous, peu propices à la confrontation idéologique. Ainsi Bausch, habillé comme d’habitude en costume-cravate, a insisté sur la politique financière prudente et efficace, sur les efforts en matière d’attractivité économique – des domaines dans lesquels l’intelligence et l’habileté d’un politicien jouent un rôle plus important que sa couleur politique. Même dans le domaine de la mobilité, notamment la « redécouverte de la culture du cyclisme », il a profité de projets envisagés auparavant au sein de l’administration communale, même si sans lui, ils seraient peut-être restés au fond du tiroir.

Clairement, ni l’indexation, ni l’avortement ne peuvent polariser les débats politiques au niveau local. Mais même sur un sujet sociétal comme la vidéosurveillance, pomme de discorde en 2005, les partenaires de la coalition recherchent le consensus : « Nous avons émis un avis critique, car les caméras n’ont pas rempli la fonction prévue, celle d’une prévention de la criminalité. » Tenir les caméras pour peu utiles est une chose, agir pour s’en débarrasser en est une autre. Les Verts affirment que la commune n’a pas la possibilité de les faire enlever, mais Bausch rajoute : « Pour un sujet sensible comme l’insécurité, j’aime autant qu’on apporte la preuve de l’inutilité sur le terrain. Nous attendons maintenant les résultats de l’évaluation du ministère de l’Intérieur. »

Quant aux relations avec les libéraux, Bausch livre son crédo en matière d’exercice du pouvoir : « DP et Greng sont deux partis, avec deux programmes. Mais une fois qu’on a établi un accord de coalition, il faut mettre au placard sa carte du parti. » Le leader vert estime que ce principe vaut aussi au niveau national, qu’il faut éviter que les deux partenaires agissent en se demandant si telle décision est favorable à l’image de leur parti ou profite à leur adversaire. « La seule question qu’on doit se poser : Est-ce
une bonne décision pour la ville ? »

François Bausch est connu pour courir le marathon. En matière politique aussi, il est marathonien, et a donc repris le flambeau de l’orateur pour la présentation du bilan parlementaire. Au lieu de la salle de mariage, c’est à l’entrée du restaurant Speltz que les journalistes ont écouté, debout, l’exposé du président du groupe vert. D’une voix relativement douce, malgré les bruits de cuisine envahissants, Bausch a réglé ses comptes au gouvernement, « en position d’attente jusqu’aux élections communales, et qui n’a tiré aucune leçon de la crise ». Rappelant quelques revendications des Verts, telles que le droit à l’avortement et la fiscalité écologique, il a souligné qu’en étant dans l’opposition « on peut néanmoins faire bouger les choses ». Mais le fait qu’il ait cité la seule loi sur la chasse – domaine très controversé mais d’une signification politique limitée indique que son parti trouve de plus en plus frustrant son rôle de spectateur.

Interrogé sur les expériences des coalitions dans les communes, il a insisté sur la variété des constellations, toutes capables de donner des résultats positifs. Pour Bausch, il n’y a pas de préférence nette en matière de partenaire de coalition gouvernementale future. « Au niveau sociétal, nous sommes plus proches du LSAP et du DP. Mais par exemple dans le domaine de l’écologie, le LSAP est extrêmement conservateur et je constate que les relations avec le ministre de l’environnement CSV sont meilleures qu’avec son prédécesseur socialiste. »

Personne ne s’est plaint du caractère succint de la partie officielle du bilan, et on est donc passé à la partie officieuse, qui se déroule assis ! Le menu est réussi, mais quelque peu monotone pour les végétariens … deux fois salade … Côté conversation par contre, tout y passe : depuis les débuts de l’opposition au nucléaire jusqu’au tram prévu pour la Saint Glinglin, en passant par les pistes cyclables et la crise de la dette. Et, plus que le discours officiel, ces causeries révèlent que les Verts restent un parti qui ne manque pas d’idées. Mais comment les faire passer sur le plan national, et avec qui ?

« Pas de préférence, si ce n’est avec celui qui est d’accord pour réaliser un maximum de nos idées », confirme Felix Braz, échevin de la coalition rouge-verte à Esch, qui ne se consacrera plus qu’à la politique nationale à partir d’octobre. « Il faut un rapport loyal, et pas les affrontements politiciens du gouvernement actuel. » Pour Braz, la leçon essentielle de l’exercice du pouvoir au niveau communal est qu’il faut être réaliste, ne pas promettre des choses infaisables. « Mais à la différence des autres partis, les Verts tiennent plus de choses pour faisables », précise-t-il, « si des personnes plus énergiques arrivent au pouvoir. »

Ce réalisme ambitieux a fait ses preuves avec les « sujets mous » de l’échelle communale, mais est-il transposable à l’échelle nationale ? Longtemps, les Verts ont représenté un parti radicalement différent, donc dans l’opposition. Désormais, l’heure est peut-être aux transformations concrètes, au gouvernement, donc. Mais le goût de l’exercice du pouvoir risque de marginaliser l’esprit de rébellion et ses bouffées d’air qui regonflent les voiles. Or, sur les sept députés, tous membres de conseils communaux, deux seulement se retrouvent dans l’opposition, dont un ex-échevin.
Ainsi les Verts risquent de plus en plus de prendre le chemin de cet autre mouvement politique parti pour changer le monde, la social-démocratie, et qui, ces dernières décennies, s’est transformé en gestionnaire parfois compétent mais toujours porté aux compromissions.


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