L’Espagne entend consacrer la règle d’or dans sa constitution. Ce qui est présenté comme une lueur d’espoir est un coup supplémentaire que les marchés portent aux populations et à la démocratie.
L’idéologie néolibérale dominante a réussi un tour de maître : elle a fait croire à la fin des idéologies, au dépassement du « clivage » droite-gauche, à la fin des antagonismes de classe et a ainsi permis la dépolitisation de la politique économique afin de faciliter la tâche aux « marchés ». Et comme on peut le lire dans certains journaux, rendre possible la comparaison entre les économies publiques et les budgets domestiques.
Ce serait donc la règle d’or, qui ferait de l’équilibre budgétaire une obligation constitutionnelle. En France, les hommes et femmes politiques d’obédience libérale se plaisent à prendre l’Allemagne pour exemple (ou les pays anglo-saxons, c’est selon), afin d’opposer leur prétendue « modernité » et leur pragmatisme aux « archaïsmes » français. En copiant cette règle d’or, le pays de « Hartz IV » et des communes et Länder en partie ruinés serait donc le modèle à suivre. Et ce serait évidemment emboîter le pas à la première puissance mondiale, les USA, dont la solidité économique et l’efficacité des systèmes sociaux ne sont pas vraiment à envier. De plus, le fait que la proposition émane de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel n’a rien de rassurant.
Car ceux qu’il faut rassurer actuellement, ce sont les marchés. Ils seraient rationnels et raisonnables. Et s’ils se montrent si sévères, c’est qu’ils n’en peuvent plus de l’irresponsabilité de ces Etats qui s’endettent. Citée dans l’édition du tageblatt d’hier, Soledad Pellón de la maison de courtage IG Markets, a eu cette formule révélatrice : La règle d’or espagnole serait « bénéfique à l’extérieur, car elle donne la certitude que le pays prend des mesures effectives pour assainir ses comptes au plus tôt ». Et de conclure : « Mais cela limitera totalement le gouvernement dans sa politique budgétaire, ce qui à certains moments peut être contreproductif ».
Et lorsque François Baroin, le ministre français de l’économie, a osé parler de rachats de dette espagnole et italienne par la BCE, son économiste en chef, Jürgen Stark, tel le Grand Inquisiteur, n’a pas hésité à rappeler à l’hérétique néo-gaulliste la doxa de Francfort : « C’était une déclaration irréfléchie. Cela tient peut-être au fait que Baroin est nouveau à ce poste et qu’on doit encore mieux lui faire comprendre la séparation entre politique monétaire et politique fiscale. La BCE est indépendante, aussi dans la pratique ».
Que cela soit donc clair : après avoir soutiré aux peuples leur souveraineté monétaire, la règle d’or donne un également un grand coup au principe démocratique qui veut qu’une collectivité de citoyen-ne-s puisse avoir son mot à dire sur la manière dont elle désire agencer son budget. Certains arguent que cette règle interdisant un dépassement de dette pousserait les gouvernements à augmenter les impôts et à revenir ainsi vers une politique fiscale plus redistributive. Mais cette argumentation est boiteuse : tout d’abord parce que les forces politiques (en principe de gauche, en tout cas fortement inspirées par les mesures keynésiennes) qui peuvent avoir recours à l’endettement afin de relancer l’économie sont les mêmes qui favorisent des fiscalités fortement progressives.
Ensuite, car les forces politiques (auxquelles appartiennent Sarkozy, Merkel et Berlusconi) qui plaident pour une plus grande rigueur budgétaire ont également été à l’oeuvre ces dernières décennies (depuis le milieu des années 1970, lors du tournant néolibéral) dans l’abaissement de l’imposition sur les grandes fortunes et les entreprises, à l’origine des déficits budgétaires que les classes populaires sont désormais priées de combler.
Ce n’est pas la crise qui est combattue : les marchés financiers y voient une opportunité historique pour faire pression sur les Etats afin d’anesthésier les mécanismes institutionnels démocratiques restants mais surtout de consacrer des mesures de régression économique et sociale. La règle d’or est un coup de plus qu’ils portent aux populations. Comme l’avait déjà dit il y a quelques années le milliardaire américain Warren
Buffet : « La lutte des classes existe, et c’est la mienne qui est en train de la remporter ».