C’est le marronnier indéracinable par excellence : la rentrée scolaire. Lundi et mardi, deux mondes ont présenté à la presse leurs visions de l’école : les syndicats et le ministère de l’éducation nationale.
Inconciliables. Deux proses, deux mondes. D’une part, le ministère de l’éducation nationale, qui estime que « Dans un monde qui change vite, les jeunes doivent trouver des repères stables et développer une attitude positive, le marché du travail et la vie en société se montrant de plus en plus exigeants ». De l’autres, ce sont les syndicats d’enseignants, SEW et SNE, qui parlent de leur vocation : « On devient enseignant avec une vision pour éduquer les jeunes générations pour un monde meilleur. Les enseignants ont l’ambition de transmettre une culture et de faire réfléchir leurs élèves ».
Dans un contexte de crise mondialisée, dont les effets sur notre mode de vie sont encore inconnus, ces deux considérations, l’une parlant du « marché du travail » (de quoi aura-t-il l’air dans cinq ans ?), l’autre d’un « monde meilleur », l’on en est tenté de se demander quelle assertion est finalement la plus lucide. Créer un monde meilleur ou s’assujettir aux contingences d’une économie en débandade ? Développer une « attitude positive » – comme le chantait la grande poétesse Lorie – face à une société qui broie les êtres, ou les faire réfléchir ?
En tout cas, l’indignation était palpable côté syndicats. Anticipant la conférence de presse traditionnelle de rentrée de la ministre de l’éducation nationale, Mady Delvaux (LSAP), le SEW et le SNE (affiliés respectivement à l’OGBL et à la CGFP) avaient convié la presse dans la charmante école communale de Bonnevoie, rue Demy Schlechter. Sous le slogan, « Et geet jo ëm d’Kanner ! », ils ont inauguré leur rentrée par une sévère salve de critiques. « Si nos deux syndicats, SEW et SNE, se réunissent pour une conférence de presse commune, c’est que la situation est sérieuse », déclare Patrick Arendt, président du SEW. Et de répéter leur credo : s’ils ont soutenu la nouvelle loi scolaire, c’est parce qu’elle promettait « une meilleure égalité des chances, une prise en charge individualisée et une démocratisation de l’école ».
Mais à les entendre, deux ans après cette réforme, leurs espoirs ont fait « pshiiit ». Dans leur ligne de mire, la question des « contingents de leçons d’enseignement ». Qu’ès aco ? Pour rappel : après la « nationalisation » de l’enseignement fondamental, ce ne sont plus les communes, mais l’Etat qui alloue à chaque commune un certain nombre d’heures d’encadrement, en fonction d’un calcul effectué à partir d’un indice social. Selon le ministère, cette méthode a été employée à des fins de justice sociale, dans une optique « redistributive », comme l’a rappelé Delvaux ce mardi : « Certes, les communes aisées perdent du personnel. Mais cela se fait au profit des communes moins bien loties ».
Tir croisé syndical
Mais les syndicats ne l’entendent pas de cette oreille. Pour eux, cette « redistribution » se solde surtout par une réduction des moyens qui fait que la plupart des communes sortent perdantes. Si les syndicats ne disposent pas des chiffres, Arendt insiste sur le fait qu’ils reçoivent régulièrement de nombreux échos de la part des différentes écoles (selon leurs dires, la quasi-totalité des enseignants sont affiliés à l’un des deux syndicats). Et toujours selon leurs estimations, ce seraient environ 500 heures qui seraient passées à la trappe. De plus, cette nouvelle organisation a le désavantage de « délocaliser » du personnel enseignant d’une école vers une autre en fonction des contingents d’heures décidés « arbitrairement ». Certains enseignants vivent mal ces déplacements, car beaucoup d’entre eux enseignent dans leurs établissements depuis des années et ne peuvent donc plus assurer le suivi de leurs élèves. Mady Delvaux est consciente de ce problème, mais elle semble l’accepter comme un moindre mal. Cette organisation « à la calculatrice », comme le président du SEW l’avait qualifiée dans un éditorial du bulletin syndical, commencerait dés-ormais « à faire très mal dans beaucoup d’écoles ».
Un point de vue que ne partage pas du tout la ministre. Elle fait valoir que les heures d’encadrement ont augmenté « hors contingent », c’est-à-dire au niveau des « équipes multiprofessionnelles » ou bien des « instituteurs ressources ». C’est justement ce que reprochent les syndicats, pour qui l’utilité de ces heures « hors contingent » est tout à fait relative. « On nous enlève des instituteurs pour en faire des instituteurs ressources là où leur présence n’est pas forcément pertinente. Donc on perd non seulement des enseignants, mais on perd du temps supplémentaire », tranche Arendt. Le temps justement, c’est une chose précieuse. Et Delvaux n’a pas hésité, lors de sa conférence de presse, à lancer un appel aux enseignants à « gérer les ressources avec responsabilité ». Un appel que les enseignants, dont les nerfs sont à vif depuis quelques années déjà, goûteront moyennement. Car pour l’instant, leur abattement semble tel que Patrick Arendt s’est résolu à revendiquer une sorte de statu quo : « Nous voulons au moins garder ce que nous avons ».
Gestion à la calculatrice
Mais, pour les syndicats, la réduction des moyens se conjugue avec une augmentation « spectaculaire » de la charge de travail. Opposant leur « travail de terrain quotidien et peu spectaculaire » aux « orchestrations grandioses » du ministère qui iraient « au détriment de la qualité », les syndicats rappellent à nouveau que les enseignants croulent sous le travail administratif et documentaire que la nouvelle tâche leur impose. Pourtant, un compromis avec le ministère a été trouvé au niveau des bilans scolaires (« chaque heure utilisée à remplir un bilan, c’est de l’énergie gaspillée pour rien », dixit Arendt) : ils ont été réduits de trois à deux.
Les conflits entre syndicats et ministère ne s’arrêtent pas là : leurs vues concernant le plan de réussite scolaire (PRS) divergent diamétralement. L’ancienne présidente du SEW, Monique Adam, n’y va pas par quatre chemins : à ses yeux, le PRS poursuit le but de faire éclater, à terme, la carte scolaire. Hormis le fait que ces PRS nécessiteraient un grand investissement en terme de travail, il mettraient les différentes écoles en concurrence les unes avec les autres. La ministre ne le voit pas de cet oeil. Se félicitant que toutes les 153 écoles fondamentales se sont dotées d’un tel plan, elle y voit une manière d’introduire une « gestion par objectifs » ainsi qu’un outil afin d’analyser les forces et faiblesses des différents établissements.
Mais comme souvent, le problème réside dans l’intention supposée ou réelle. Rappelant une réforme similaire menée en France, Monique Adam explique qu’elle avait constitué le prélude à l’éclatement de la carte scolaire. Patrick Remakel du SNE craint ainsi que l’analyse des forces et faiblesses ne serve non pas à octroyer plus de moyens aux écoles en faiblesse, mais au contraire de les enfoncer davantage en les sanctionnant. Résultat : peu à peu, chaque école fondamentale aurait une certaine réputation, ce qui provoquera des réactions compréhensibles des parents qui ne veulent pas voir leurs enfants scolarisés dans de « mauvaises » écoles. Le phénomène n’est certes pas neuf : depuis belle lurette, certains parents, provenant de classes plus « aisées », préféraient inscrire leurs enfants dans des établissements du privé plutôt que de les laisser fréquenter des écoles dans des quartiers réputés plus problématiques. Assurant que les syndicats « ne sont pas systématiquement opposés aux réformes pédagogiques », Patrick Arendt, propose de remplacer les PRS par des « journées de réflexion pédagogique » qui seraient organisées par les comités d’école. Et d’ajouter : « L’important, ce n’est pas la forme sur le papier, mais qu’à la fin des actions concrètes puissent voir le jour ».
Tout semble ainsi séparer la ministre et les syndicats représentant les enseignant. Le gouffre n’a jamais semblé aussi béant, tant dans la méthode, la vision politique que dans l’interprétation. Pourtant, un petit rapprochement a eu lieu cette semaine, ce qui a permis au SEW, une fois n’est pas coutume, de féliciter la ministre. Mady Delvaux a en effet tranché en faveur des syndicats quant à la question des droits d’inscription des stagiaires de l’enseignement secondaire. Les syndicats avaient en effet revendiqué que, si ces derniers étaient obligés de suivre leurs cours à l’Université du Luxembourg et non ailleurs, l’Etat reprenne au moins les droits d’inscription plutôt élevés (500 euros). Comme quoi, il peut encore y avoir des terrains d’entente.
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