CONTESTATION: Les indignés de la terre

Il y a une dizaine d’années, le monde connaissait déjà son lot de contestations de l’ordre établi. Mais désormais, le mouvement des indignés s’inscrit dans un contexte de crise du système.

Daniel Schneidermann aime jouer aux mauvais esprits. Le journaliste très engagé à gauche et présentateur de l’excellente émission « Arrêt sur images », consacre son dernier billet sur Rue89 à la couverture médiatique du mouvement des « Indignés », en particulier de la manifestation à Wall Street du 15 octobre. S’il est d’usage parmi les critiques des médias alternatifs de décrypter les manipulations des médias « mainstream » qui n’accordent en règle générale que peu de couverture aux mouvements de contestation populaire si ce n’est dans le but de les discréditer, il prend cette fois-ci les habitués de ses travaux à contre-poil. Et d’asséner d’emblée : « Il fallait le dire et c’est dit : les médias US en font des louches avec le mouvement `Occupy Wall Street‘ ».

Que l’on se rassure toutefois : son objet n’est pas de discréditer ce mouvement planétaire. Revenant sur un article de la correspondante du Monde à Washington, Corine Lesnes, qui avait relevé la couverture disproportionnée du mouvement en terme quantitatif par rapport à d’autres manifestations comme les celles contre la guerre en Irak en 2003, Schneidermann tente de creuser les causes profondes de cette petite révolution journalistique. Que se passe-t-il ? Pourquoi une telle sympathie ?

Il y a beaucoup d’explications, mais l’une d’entre elles vaut que l’on s’y attarde. Dans la guerre politique que les oligarchies mènent contre leurs populations, les journalistes des grands groupes font office de soldats de la parole. Mais, un peu à l’image des soldats russes qui, en 1917, n’obéissaient plus à leurs supérieurs en refusant de tirer sur les foules dont ils étaient eux-mêmes issus, les journalistes de base commencent eux aussi à se lasser des injonctions de leurs supérieurs. La condition du journaliste de base ressemble à celle du soldat : statut précaire, obligation de gagner sa vie, c’est lui qui est envoyé au front, mais qui perd par la suite le contrôle sur les fruits de son travail que le directeur de la publication accommodera à sa sauce et à celle de ses actionnaires. Sauf qu’à l’inverse de ses supérieurs, le journaliste de base côtoie régulièrement les marginalisés et les révoltés. Très souvent, il en est lui-même issu.

Quoiqu’en disent les chiffres, le mouvement contestataire actuel se distingue qualitativement du dernier grand mouvement planétaire qui avait lieu au tournant du siècle et qui avait donné naissance aux forums sociaux : ce mouvement fait écho à une crise qui est désormais systémique. Se méfier du capitalisme, voire le dénoncer ou même le combattre n’est plus l’apanage d’une minorité négligeable. Qu’un porte-parole de ce mouvement le déclare à Luxembourg sur la Place d’Armes devant 400 personnes et se fait applaudir, ce n’est pas une anecdote. Si le mouvement n’est pas partisan, dans le sens qu’il n’est ni téléguidé, ni ne fait allégeance à aucun parti, il est pourtant éminemment politique.

Certains commentateurs soulignent le caractère « improvisé », hétérogène voire hétérodoxe de ce mouvement. C’est ignorer que c’est le plus souvent le trait de caractère des débuts de rébellion, voire de révolution. Aucune révolution, ni la française, ni la russe d’ailleurs, n’ont débuté après avoir reçu le « top départ » d’une direction éclairée de révolutionnaires avec marche à suivre et programme en main.

Par contre, un système est en danger lorsque les citoyens qui ont longtemps réussi à s’en accommoder, commencent non seulement à le mettre en question, mais sortent peu à peu de leur somnolence pour prendre conscience de leur rôle de sujets et d’acteurs de l’histoire. Les « Indignés » ne sont pas si bordéliques et désorganisés que certains veulent bien le faire croire. Outre qu’ils débattent entre eux et posent des questions essentielles (faut-il se limiter à des revendications démocratiques ou faut-il étendre le champ aux questions économiques ?), ils établissent des chartes, des manifestes, avec toute une panoplie de priorités politiques. En gros, ils sont déjà en passe de dépasser le stade de la simple « indignation ». Et étendent le domaine de la lutte sociale à la lutte politique.


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