CHOMAGE: Vieilles recettes, mauvaises recettes

Les partis politiques semblent incapables de s’attaquer au chômage. A défaut, on risque d’appliquer des recettes néolibérales européennes dans une recherche effrénée de compétivité.

„Pas de grands changements nécessaires“, c’est en substance ce que le ministre du Travail François Biltgen a conclu du débat de consultation sur le chômage de mardi dernier. En effet, face à des chiffres alarmants, la réaction de la Chambre des député-e-s a été très retenue. Malgré une croissance soutenue, autour de quatre pour cent, et de nombreux emplois créés, le chômage des résident-e-s a continué à augmenter pour atteindre 4,6 pour cent en avril. „Cette corrélation paradoxale entre la croissance de l’emploi et du chômage caractérise notre marché de l’emploi“, constate une motion adoptée à la quasi-unanimité par la Chambre. Ce texte renforce l’impression que les député-e-s n’ont rien à dire sur le sujet. On y trouve des voeux pieux comme „inciter les entreprises à prendre conscience de leur responsabilité sociale“ et des exigences douteuses comme celle d’activer les demandeurs d’emploi „en les responsabilisant davantage“. Et même des niaiseries comme le souhait de rapprocher „le monde économique du marché de l’emploi“.

Rien de vraiment nouveau n’a été demandé par le parlement, rien de nouveau n’est proposé par le gouvernement. Former les demandeurs d’emploi non qualifiés, évaluer les mesures existantes, moderniser l’Adem. Cela fait très longtemps qu’on en parle … et qu’un même parti gère le ressort du Travail avec un même laisser-faire. Il est vrai que le LSAP, qui devrait normalement s’afficher sur ce terrain, a choisi de mettre la sourdine. Mis à part les mises en garde contre le démantèlement social, le discours de l’ancien syndicaliste John Castegnaro s’est voulu conciliateur en rappelant „la responsabilité et l’action communes“. Ainsi Biltgen peut continuer à protéger l’Adem, cible de multiples critiques sur le plan national et européen, tandis que les syndicats conservent leurs „initiatives pour l’emploi“, qui ne sont malheureusement guère plus que des salles d’attente pour des sans emploi. La cerise sur le gâteau des mesures annoncées par le ministre est le prêt de 25.000 euros accordé à des chômeurs qui fondent une entreprise. Cela peut être une chance pour quelques-un-e-s, c’est sans doute une manière de „responsabiliser“, voire de culpabiliser les chômeuses et chômeurs, mais cela ne fera pas baisser le chômage de manière significative.

Partis et syndicats

Il y a un an, ce débat aurait probablement donné lieu à un piquet de protestation des syndicats devant la Chambre, pour rappeler les licenciements collectifs des derniers temps. Les temps ont changé: John Castegnaro, ex-président de l’OGBL, siège désormais au parlement, et son successeur Jean-Claude Reding cultive un nouveau style. Ensemble avec le LCGB, il invitait mardi dernier à une conférence de presse sur les „Lignes directrices intégrées“ (LDI), qui regroupent la stratégie européenne pour l’emploi et les „Grandes orientations des politiques économiques“ (GOPE). Les syndicats espéraient ainsi attirer l’attention des médias sur des processus plus abstraits que les débats ronronnants de la Chambre, mais décisifs pour l’avenir du modèle luxembourgeois.

Pour qui redoute un démantèlement de l’Etat-providence, Bolkestein et Fontagné sont de vieilles connaissances. Maintenant, il va falloir se familiariser avec les LDI et les GOPE. En effet, critiquent les syndicats, le volet „emploi“ est le parent pauvre des Lignes directrices proposées par la Commission européenne pour la période 2005- 2008. Les LDI sont un nouvel outil de la politique économique européenne, décidé suite au constat d’échec de la stratégie de Lisbonne. Afin de recentrer celle-ci autour de la croissance et de l’emploi, les institutions européennes et les gouvernements nationaux vont se mettre d’accord sur des lignes directrices. Les LDI regroupent les différentes dimensions économiques de la politique européenne: macroéconomique et microéconomique (GOPE) ainsi que l’emploi. Aux yeux des syndicats, intégrer ces dimension qui jusqu’ici étaient couvertes par des processus distincts est une bonne chose. Mais ils constatent „un déséquilibre entre les fortes orientations de la politique économique et les lignes directrices de l’emploi, celles-ci étant d’ailleurs assurément conditionnées par les premières“.

„Plutôt que de tirer les leçons de l’échec de Lisbonne, on applique les vieilles recettes“, constate Jean-Claude Reding. Les syndicats reprochent aux LDI de se focaliser sur la modération salariale et la lutte contre l’inflation plutôt que de relancer la consommation. En voulant „adapter“ le marché du travail aux exigences des dogmes libéraux, elles renforcent les appréhensions des populations à l’égard de la construction européenne.

Un point a particulièrement irrité les syndicats: les solutions proposées aux problèmes de financement des retraites. Les Lignes directrices appellent à décourager la retraite anticipée et à introduire un système par capitalisation. „Nous voulons conserver le système de retraite par répartition, qui fait partie du modèle social européen“, dit Jean-Claude Reding. C’est un des points où il y a eu désaccord au sein du Conseil économique et social. Ce dernier vient d’ailleurs également de rendre son avis sur les LDI. Pour une fois, cet avis n’a pas été adopté à l’unanimité, mais contre les voix des représentants syndicaux.

Modèle à sauvegarder

Un plan national transposant les LDI doit être remis à l’automne par chaque Etat membre. Les syndicats semblent décidés à empêcher un démantèlement social qui serait présenté aux citoyen-ne-s comme imposé „par Bruxelles“. Mais leurs argumentations ne sont pas exemptes de faiblesses. Ainsi Robert Weber, président du LCGB, a le mérite d’avoir dénoncé – en termes crus – la qualité de notre système scolaire. Mais il est inconséquent quand il reproche aux patrons d’embaucher des frontaliers plutôt que des résidents, alors que les patrons seraient fous de préférer les candidats mal qualifiés.

Par ailleurs, les propositions des syndicats en matière d’emplois se limitent à la relance par une hausse de salaires et à des investissements massifs dans la formation. Pas un mot sur les choix fondamentaux en matière de création d’emplois dans le secteur des services. En effet, les services à la personne comme la garde d’enfants et l’aide à domicile constituent un secteur en plein essor et potentiellement „riche en emplois“. Pour organiser ce secteur, on a le choix entre la logique de marché, comme aux Etats-Unis, avec les inégalités sociales qui en découlent, et la logique publique, comme dans les pays scandinaves. On a aussi le choix entre une main d’oeuvre correctement formée et payée, et une main d’oeuvre en partie recrutée dans le cadre des mesures pour l’emploi, comme c’est le cas au Luxembourg. Cette pratique ne va certainement pas dans le sens de la qualité et de la sécurité de l’emploi réclamées par les syndicats. Mais elle permet de réduire le chômage apparent et de sauver la face du modèle luxembourgeois pour quelques années encore.


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