CENTRE DE RÉTENTION: Mensonges et absurdités

Une visiteuse du Centre de rétention livre ses impressions et réflexions sur cette prison pour déboutés du droit d’asile.

Les portes du Centre de rétention du Luxembourg viennent à peine de se refermer sur leurs premiers pensionnaires. A l’heure d’écrire ces lignes, une quinzaine d’entre eux, tous des hommes adultes, y séjournent déjà, répartis entre les deux blocs (baptisés pudiquement « unités ») d’ores et déjà en fonctionnement.

Avec cette obsession déclarée de consacrer définitivement la rupture avec la « prison », tout a été soigneusement planifié par les concepteurs du lieu, aux idées expressément « humanistes », pour rendre l’existence de ces hôtes malgré eux la moins désagréable possible. Salle de sport somptueusement équipée, bibliothèque, salle informatique. Le gris a été banni des murs. Les gardiens sont devenus des « agents de sécurité », les cellules des « chambres ». Un mot qui ne manque pas de susciter un léger malaise chaque fois qu’on l’applique à cet espace minimaliste, fermé à clé pendant la nuit, où la fenêtre donne sur le mur d’en face et d’où, aux heures de solitude nocturne, la seule échappée possible est un écran de télévision.

A l’intérieur de chaque bloc, les personnes peuvent circuler de 7 heures à 21 heures 30 dans le périmètre circonscrit et hermétique agencé autour de la salle commune où se prennent obligatoirement les repas. Le grignotage en solitaire est érigé en infraction par le règlement. L’objectif recherché est double : socialiser de gré ou de force, au moins aux heures des repas, et préserver l’hygiène irréprochable des locaux qui, avec la sécurité, sont de toute évidence des valeurs cardinales pour la direction du Centre. C’est aussi probablement la raison pour laquelle la cuisine à l’équipement high-tech qui orne tout un pan du réfectoire ne peut produire que des boissons chaudes. Deux immenses frigos en inox étincelant renferment tout au plus les restes du petit déjeuner. Sur la qualité des repas, rien que des éloges. Impossible de se plaindre. Pendant le ramadan, le personnel est même allé jusqu’à servir la première collation à 4 heures du matin pour respecter les horaires du seul musulman de l’établissement.

Il est loisible à chacun de voir un morceau de ciel entre les hauts grillages serrés de l’étroite cour extérieure, que les hôtes ont tout naturellement dénommée « la cage ». Le mot est vite traduit dans les diverses langues en usage. Le personnel, de l’avis général, est exemplaire par son amabilité, ses dispositions à l’écoute et au dialogue, sa disponibilité. Le règlement, affiché sur le mur en sept langues, précise qu’il est possible de s’entretenir avec le directeur sur demande écrite (un formulaire à signer).

Au Luxembourg, comme partout ailleurs en Europe, le recours à la rétention pour tenter de réguler le phénomène migratoire est devenu la solution privilégiée, les alternatives étant jugées trop complexes à mettre en place. Les enfermer reste sans nul doute le moyen le plus simple et le plus radical de contrôler la circulation des êtres humains.

Cependant, comment ne pas s’interroger sur le sens donné à cet enfermement, d’un côté par les autorités administratives qui en prennent la décision, de l’autre par les fonctionnaires chargés de gérer au mieux la situation de ces personnes, souvent fragiles, presque toujours révoltées, et en tous cas convaincues d’être l’objet d’une injustice. Les premières ont choisi de se donner la possibilité de prolonger jusqu’à six mois (voire une année dans certains cas, qui en théorie n’ont rien d’exceptionnel) la durée de la rétention, afin de faire plier à la longue la volonté de ces étrangers qui refusent de collaborer à leur rapatriement. Les autres déploient tous les moyens à leur disposition pour rendre supportable, et même si possible bénéfique, ce séjour forcé derrière des barreaux. Les premières voient tout juste des noms, des dossiers, des numéros, des chiffres, et s’efforcent d’être efficaces en faisant appliquer la loi sans autre considération. Les autres, qui se frottent quotidiennement à cette humanité rejetée et endolorie, n’ont aucune emprise sur les décisions ministérielles et aucun intérêt à rajouter aux difficultés des personnes qui leur sont confiées.

Dans ce système hypocrite et absurde, qui encourage le mensonge et la dissimulation, mise sur le désespoir tout en entretenant une curieuse forme de bien-être, la guerre d’usure oppose donc non seulement les «?retenus?» à l’autorité gouvernementale mais aussi la bonne volonté de la direction et du personnel social du Centre de rétention à la volonté inflexible de l’Etat de sanctionner les réfractaires. S’il est inavouable du point de vue du droit de « punir » des personnes qui n’ont commis aucun crime, c’est pourtant bien de cela qu’il s’agit, quelles qu’en soient le cadre et la forme.

De l’avis même du premier pensionnaire du Centre de rétention de Luxembourg, surpris et charmé par le traitement qui lui est réservé, le plus doux des palaces reste une prison s’il manque la liberté d’en sortir.


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