Les multiples grognes envers la politique de l’Education nationale sont autant d’insatisfactions face à la froideur d’une société marchande inégalitaire et bureaucratique.
Depuis qu’elle est entrée en fonction en 2004, la ministre de l’Education nationale, Mady Delvaux-Stehres, fait face à une critique récurrente de la part du corps enseignant ou du moins de ses syndicats : A l’absence de dialogue avec les intéressés s’ajoute leur mise devant le fait accompli. Le ministère ne prendrait pas en considération leurs questionnements et leurs critiques face à des réformes d’envergure qu’ils qualifient de bâclées.
Confrontée à ces critiques, la ministre énumère le nombre de rencontres qu’elle a eues avec les enseignants ainsi que les associations qui les représentent. Et si on la compare aux deux ministres qui l’ont précédée à ce poste – la libérale Anne Brasseur et la chrétienne-sociale Erna Hennicot-Schoeppges – l’actuelle locataire socialiste de la rue Aldringen peut certainement se targuer d’avoir été bien plus à l’écoute de ses « sub-ordonnés ». Et certainement aussi d’avoir ouvert le plus de chantiers de manière systématique : la réforme de la tâche des enseignants, la réforme de l’enseignement fondamental, celle du secondaire, la réforme de l’évaluation des élèves, le soutien d’écoles pilotes telles que le Neie Lycée ou Eis Schoul… Tout en se refusant à mener, soit dit en passant, la réforme la plus essentielle : l’introduction du tronc commun.
Et ce ne sont pas que les syndicats tels que le SEW, la Féduse ou l’Apess qui tirent à boulets rouges sur la ministre. Après les professeurs de français, qui s’inquiètent depuis des années que le français se voie à terme dangereusement dévalorisé, ce sont aussi les enseignants de musique et d’arts plastiques qui voient rétrécir comme une peau de chagrin leurs spécialités, dans le contexte de la réforme du cycle supérieur. Spécialités qui, par ailleurs, dans la logique utilitariste qui domine notre éducation nationale, n’ont jamais été cotées à leur juste valeur. Finalement, les enseignants d’histoire et de géographie se sont joints au choeur des inquiets. Pour couronner le tout, les élèves eux aussi se sont réveillés : la semaine passée, environ 400 d’entre eux se sont rassemblés devant le siège du ministère. Les anciens syndicalistes « étudiants » se souviennent encore des années 90, où il fallait tracter des jours à l’avance afin d’organiser une mobilisation. De nos jours, facebook s’en charge. Il ne faut pourtant rien surévaluer : si les élèves descendaient dans la rue il y a une quinzaine d’années par milliers, ils n’ont cette fois-ci été qu’une centaine. Mais ce n’est peut-être qu’une mise en garde.
Certains remarqueront que ces élèves n’ont pas de revendications claires et concrètes, qu’ils ne sauraient même pas pourquoi ils manifestent. Ce reproche est classique et a toujours existé. Il exonère les « manifophobes » de se poser des questions plus fondamentales sur les raisons qui poussent les jeunes à protester, seraient-ce de manière « confuse ».
Si les voix discordantes se multiplient, c’est aussi parce que l’école est un mini-monde où toutes les angoisses et incertitudes contemporaines se répercutent. Non sans raison, les enseignants, du moins certains d’entre eux, voient d’un mauvais oeil la « rationalisation » de leur métier effectuée sur base de « bilans », fournis d’« items » et de « compétences ». En arrière-fond, les exigences des entreprises qui ne voient pas plus loin que leurs propres contingences à court terme et les innombrables études internationales menées par l’OCDE, qui n’est pas un organe politiquement neutre. Et cette lubie de penser que les problèmes relatifs au marché du travail seraient prioritairement liés aux « formations », qui ne pourraient être que pratiques et « utiles ». Exit ainsi le questionnement sur la nature et l’organisation du monde du travail.
Quant aux manifs des élèves qui se dirigent, en gros, « contre le nouveau régime », elles expriment une sorte d’opposition contre le régime tout court, à l’instar de celle de 2006 qui s’opposait à la loi sur l’emploi des jeunes. Le régime dans lequel vit notre société et qui est imposé aux jeunes : concurrence, compétitivité, traitement bureaucratique, précarité du travail. Le tout sur fond d’ambiance délétère d’un modèle politique et économique essoufflé qui n’enchante plus personne.