Les étrangers participent non seulement aux élections mais ont leurs activités politiques propres. De toutes les nationalités, les Italiens restent les plus politisés.
„Vous verrez, avec le temps, vous allez vous intégrer“. Lilia Branchini sait de quoi elle parle: comme beaucoup d’autres, ses grands-parents ont quitté l’Italie au début du 20e siècle pour venir s’établir au Luxembourg. Comme d’autres compatriotes de la péninsule, ils étaient engagés dans la mouvance communiste. Candidate sexagénaire sur une liste de gauche aux élections communales, elle perpétue d’une certaine manière cette tradition spécifique de la gauche italienne qui a tant imprégné le paysage politique luxembourgeois. Ce mardi 4 octobre, elle était présente à une réunion de candidates et candidats étrangers et luxembourgeois sur les listes de gauche – LSAP, déi Lénk et KPL – en vue des élections communales. Que cette première réunion du genre ait eu lieu au Circolo Curiel n’a rien d’étonnant. Après tout, de multiples manifestations de gauche s’y déroulent depuis près de quatre décennies.
L’initiative de rassembler les candidat-e-s de gauche aux élections communales au-delà de leur nationalité émane d’étrangers organisés dans leurs structures politiques propres. Quelques militant-e-s des Democratici de sinistra (DS), du Parti socialiste (PS) français, de la Marguerita (centre-gauche italien) et de la Gauche unie espagnole (Izquierda Unida – IU) ont en effet eu cette idée, afin de contribuer à l’intégration politique des étrangers.
Car si les sections luxembourgeoises des partis politiques étrangers font peu de bruit au-delà d’un cercle réduit d’initiés, elles existent bel et bien.
A l’image de sa terre d’origine, l’immigration italienne reste probablement la plus politisée. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si elle a fourni de nombreux cadres aux noms caractéristiques tant aux syndicats qu’aux partis luxembourgeois.
L’organisation politique de l’immigration italienne constituait encore, jusque dans les années 80, un monde quasiment parallèle, avec des pics d’un millier d’adhérent-e-s au Partito comunista italiano (PCI) à la fin des années 70 et plus de 400 affilié-e-s à la Démocratie chrétienne. De nos jours, ces chiffres ont fortement chuté, comme l’indique Franco Barilozzi, secrétaire général du Clae et ancien membre du PCI: „Pour beaucoup d’Italiens du Luxembourg, le PCI représentait toute leur vie. La débandade a commencé lorsqu’il s’est transformé en PDS en ensuite en DS. Je me souviens de réunions très émotives. Certains pleuraient. Les plus anciens se sont retirés“.
Comptant actuellement près de 120 membres, les DS sont actuellement très loin du milliers de communistes organisé-e-s d’antan. Cet affaiblissement des organisations politiques ne remet toutefois pas en cause la prédominance de la gauche dans la population italienne. Pour preuve, aux dernières élections du Comitato degli italiani residenti all’estero (Comites), la liste de gauche – Lussemburgo per l’Ulivo – recueillait 72 % de suffrages de la part de plus de 4.000 électeurs italiens au Luxembourg et raflait en 2004 huit sièges sur douze. La liste de droite, comprenant Forza Italia – le parti de Berlusconi – et les post-fascistes d’Alleanza Nazionale, a dû se contenter des quatre sièges restants.
Forza sinistra
Après une période de relâchement, les DS, principale formation de gauche, retrouvent d’ailleurs un peu plus du poil de la bête. Avec à leur tête un nouveau secrétaire assez jeune, Roberto Serra, ils continuent de participer à l’organisation de la traditionnelle Festa de l’Unità au Galgenberg, et préparent les primaires pour l’élection du candidat de l’Unione – avec trois bureaux de vote à travers le pays. Aussi s’impliquent-ils dans les élections luxembourgeoises, ce qui n’est pas sans complications. Calquer le spectre politique italien sur le luxembourgeois ne va pas de soi. En effet, si les DS appuient officiellement les candidat-e-s LSAP – le parti frère – leurs militant-e-s, dont une grande partie a commencé son parcours politique au PCI, ne partagent pas toutes et tous ce point de vue. Cette dualité se manifeste sur les listes aux élections communales: les candidat-e-s DS se retrouvent aussi bien sur des listes LSAP que déi Lénk. Pourtant, cette situation ne semble guère dramatique et Concetta Valvason, membre des DS et candidate pour déi Lénk, la résume dans une simple phrase: „Nous sommes tous de gauche“.
A l’image de la Marguerita, les subtilités de la politique italienne peuvent avoir encore plus de piquant. Cette formation de centre-gauche compte au Luxembourg une trentaine de membres. Son porte-parole, Mario Tommasi, est un ancien membre de l’aile gauche de la défunte Démocratie chrétienne. S’il se situe plutôt à gauche de l’échiquier politique et soutient l’Unione face au Pôle des Libertés de Berlusconi, il est toutefois membre du CSV depuis 1989. Fin connaisseur de la vie politique luxembourgeoise, certains de ses aspects l’étonnent toujours: „C’est toujours un peu étrange pour moi de voir le CSV répertorié à droite. En plus, on l’associe à la couleur noire. Chez nous, les noirs, ce sont les fascistes!“
Une autre formation de gauche, le Partito della Rifondazione Comunista (PRC), peine également à se situer clairement sur l’échiquier luxembourgeois. Lui-même issu d’une scission, le PRC s’éparpille sur les listes du KPL et de déi Lénk. On retrouve ainsi des candidat-e-s membres ou proches du PRC sur les deux listes. Quant à la section luxembourgeoise, elle est en veilleuse depuis quelques années.
Les membres des formations de la droite italienne pour leur part – Forza Italia et l’Alleanza Nazionale – ont préféré se présenter sur des listes de l’ADR.
La situation des militant-e-s politiques espagnol-e-s est quelque peu similaire. L’émigration politique de l’ère franquiste a fortement contribué à l’implantation de la gauche ibérique sur le sol luxembourgeois. Ainsi, au sein du Comité des résidents espagnols (CRE), Izquierda Unida – coalition à gauche de la social-démocratie réunissant le Parti communiste espagnol et des formations d’extrême-gauche – dispose de quatre sièges, les socialistes d’un seul et le Partido popular (PP – droite) de deux sièges. La vingtaine de membres d’IU éprouvent pourtant un sérieux problème d’orientation sur la scène politique locale. „Nous aimerions bien nous engager plus activement dans un parti luxembourgeois. Mais la division entre le KPL et déi Lénk nous neutralise, car nous ne voulons pas faire le choix entre l’un et l’autre“, explique Pablo Sánchez, membre d’IU.
Classe ouvrière atone
Si les socialistes espagnols sont étonnamment inexistants en tant que structure, le PP existe officiellement depuis 2001 et regroupe une cinquantaine de membres, dont la quasi-moitié travaille dans les institutions européennes. Entretenant des relations officielles avec le CSV, les membres du PP ne s’impliquent pas plus loin dans la politique locale. „On laisse l’initiative à chacun de nos membres“, explique José Ortiz, président de la section.
Bien que majoritaires parmi les étrangers, les Portugais-e-s n’ont pas d’activité politique propre à la mesure de leur présence au pays. Le Partido socialista (PS), le Partido social-democrata (PSD – droite) ainsi que le Partido comunista português (PCP) ont beau avoir leurs antennes luxembourgeoises, les Portugais-es ne comptent que 21 candidat-e-s de plus que les Italien-ne-s. „C’est pas la joie“, avoue Acacio Pinheiro, membre du PS et candidat LSAP à Bertrange, en évoquant les efforts fournis par sa section pour recruter de nouveaux membres. „C’est aussi un peu normal. La première génération d’immigrés portugais n’a pas connu la démocratie. La grande majorité d’entre eux sont des ouvriers qui travaillent dur et sont matériellement défavorisés“.