BUDGET ET SECU: Les économies dangereuses

Le gouvernement souhaite abaisser sa contribution à la sécu, afin d’assainir le budget de l’Etat. Un projet qui comporte de nombreux risques sociaux mais aussi politiques.

„Le système, tel qu’il fonctionne actuellement, ne peut plus être financé.“ Le verdict du ministre du budget Luc Frieden sur les mécanismes de redistribution étatiques est clair. La semaine dernière, en présentant le budget 2006, il a appelé à des réformes en vue du budget suivant.

Dans la ligne de mire se trouve avant tout la participation de l’Etat au financement de la Sécurité sociale. En effet, la part des dépenses courantes affectée à ce financement n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années: de 30 % du budget ordinaire en 1970 à 56 % en 2003. Actuellement, les recettes de la Sécurité sociale prise dans son ensemble proviennent pour plus de la moitié du budget de l’Etat. A un moment ou, côté revenus fiscaux, les choses vont mal, il est tentant de réduire ces participations de l’Etat afin de rétablir l’équilibre du budget. „Le déficit actuel est malsain“, a affirmé Luc Frieden au micro d’RTL-Radio. Il propose de restructurer certains modes de financement, de remettre en question cet engagement de l’Etat dans la sécu.

La cible de choix d’un désengagement est évidemment l’assurance pension. D’abord parce que celle-ci constitue le poste budgétaire le plus important avec plus de 800 millions d’euros. Il est essentiellement constitué de la participation à hauteur d’un tiers aux cotisations sur les salaires, le reste étant réparti entre entreprises et employé-e-s. Mais la qualité la plus intéressante des caisses de pension est – aux yeux du gouvernement – qu’elles sont bien remplies. En prévision des retraites à payer à l’avenir, il y a eu constitution d’une réserve impressionnante: 5,6 milliards d’euros.

Si l’Etat réduit sa contribution, les pensions continueront à être payées, la différence étant financée en grevant les réserves. L’assurance pension est le seul domaine de la sécu où le gouvernement peut dépenser moins sans devoir toucher aux prestations. A court terme, c’est la solution de choix pour une politique d’austérité à visage social.

La cagnotte

Bien entendu, si les réserves des caisses diminuent, cela n’est pas sans effet. L’Inspection générale de la Sécurité sociale (IGSS) procède tous les sept ans à un examen de la stabilité du système. Il s’agit de voir si, avec les réserves actuelles et les recettes attendues, le niveau des pensions pourra être maintenu. Le prochain rapport de l’IGSS est d’ailleurs en cours de finalisation et devrait être modérément optimiste. Hasard du calendrier, le gouvernement actuel pourra grignoter les réserves sans se faire taper sur les doigts, le prochain rapport de l’IGSS étant prévu pour 2012, dans la législature suivante.

Le choix de renflouer les caisses de l’Etat aux dépens de celles de la sécu n’en est pas moins risqué pour le premier ministre et son équipe. Jean-Claude Juncker, qui avait diagnostiqué „le mur des pensions“ contre lequel s’écraserait le turbo grand-ducal, perdrait sa crédibilité politique s’il contribuait à accélérer encore cette course à la catastrophe. Le reproche de faire un „Renteklau“, de voler les retraites, ressurgirait également. D’autant plus que l’opération servirait à financer, entre autres, une dépense vivement contestée comme la „Mammerent“, le forfait d’éducation pour mères à l’âge de la retraite. Enfin l’ADR pourrait renouveler ses attaques populistes contre la fonction publique en avançant que le gouvernement vole les retraités privés pour financer les pensions des fonctionnaires.

Du côté de l’assurance maladie, l’Etat contribue également à hauteur d’un tiers environ au financement. Mais contrairement aux caisses de pensions, ici il n’y a pas de cagnotte à récupérer. Comme l’illustrent les discussions quadripartites actuellement en cours, les caisses de maladie ont beaucoup de mal à présenter des budgets équilibrés. Chaque euro que l’Etat contribuerait en moins devrait être trouvé ailleurs. Les optimistes, comme le ministre en charge Mars Di Bartolomeo, pensent qu’en réduisant les divers abus, on pourra substantiellement réduire les dépenses. Les pessimistes, comme Luc Frieden, craignent que les besoins de financement resteront élevées et souhaitent que l’Etat se défasse de ce boulet.

Dans les négociations actuelles sur le budget de l’assurance maladie, les syndicats se retrouvent dans une position difficile. Leur exigence d’augmenter simplement le taux de cotisation n’est pas seulement combattu par le patronat, mais est devenu inacceptable pour le gouvernement. Néanmoins, l’OGBL persiste à demander une suppression du plafond des revenus cotisables. Les cotisations supplémentaires prélevées sur les hauts salaires suffiraient sans doute à combler le déficit pour longtemps, mais l’idée se heurte aux concerné-e-s et, surtout, aux intérêts du patronat et de l’Etat, qui y contribueraient les deux tiers.

En face, le patronat se fait le porte-voix des nanti-e-s et réclame la possibilité d’avoir recours à une assurance maladie privée, comme cela est le cas dans nombre de pays. Pour le moment, le gouvernement oppose une fin de non recevoir à de telles idées. D’autant plus que le parti socialiste, dont est issu le ministre, a toujours mis en garde contre la „médecine à deux vitesses“. Mais l’offensive libérale contre le système de santé public est en marche. Fin septembre, le Cepros, un think-tank patronal, a présenté une étude sur le marché des soins de santé dans la Grande Région. Mars Di Bartolomeo a participé à l’événement à travers une allocution polie ménageant la chèvre des ouvertures européennes et libérales et le chou du modèle luxembourgeois.

Faux pas

C’est la quadripartite actuelle qui a conduit aux premiers faux pas du ministre socialiste. D’abord, il a dû refuser catégoriquement toute augmentation des cotisations, alors qu’il y a un an, sa proposition d’une augmentation de 0,15 % avait permis de boucler le budget 2005. „Les gens préfèrent qu’on augmente leurs cotisations plutôt que leur participation aux frais de santé“, avait été son argument. Ensuite, mercredi soir après la réunion quadripartite, il a insinué que pour maî triser le mini-déficit de 5,6 millions, une des mesures pourrait être une taxe d’un euro par consultation médicale, à payer par les assuré-e-s. Ce qui pour Di Bartolomeo n’est qu’une „participation symbolique“, peut être considéré comme un premier pas en direction d’une baisse en matière de prestations. En France, l’année dernière, la même mesure a été introduite par un gouvernement de droite et vivement critiquée … par les camarades socialistes du ministre luxembourgeois. D’ailleurs les syndicats ont immédiatement réagi en refusant catégoriquement une telle possibilité.

Si les tentatives pour économiser aux frais de la sécu échouent, le gouvernement dispose d’autres possibilités. Certes, Luc Frieden a exclu la possibilité d’augmenter les impôts. Mais cette affirmation ne concerne sans doute que l’imposition des salaires et des entreprises. Pour les impôts indirects, notamment sur le tabac, l’alcool et les produits pétroliers, des marges existent. De tels prélèvements pourraient être directement affectés au financement de la Sécurité sociale, comme cela a déjà été fait. Ce qui devrait permettre, comme par le passé, de faire accepter par les syndicats des manipulations de l’index, en neutralisant ces augmentations de prix.

Pour le moment, les syndicats, notamment l’OGBL, mettent en question le principe même du retrait de l’Etat. Dans un article de journal, Jean-Claude Reding essaie de contrecarrer l’alarmisme de Luc Frieden: „Par rapport au produit intérieur brut, on constate que la part versée par le Luxembourg dans ses assurances sociales n’est pas particulièrement élevée et que cette participation est relativement stable.“ Il rappelle également que le degré élevé de fiscalisation de la sécu n’est pas un accident, mais un élément important dans ce qu’on appelle le cercle vertueux de l’économie luxembourgeoise: attirer de nombreuses entreprises permet de prélever plus d’impôts et d’abaisser les cotisations sur les salaires, ce qui, en retour, permet d’attirer de nouvelles entreprises. „L’OGBL est convaincu que ce modèle doit être maintenu“, écrit Reding.

Résistances

„Sur le fond, je ne suis pas un partisan de la fiscalisation des dépenses de la sécu“, dit Serge Urbany, ex-député de Déi Lénk. „Mais ce n’est pas une revalorisation du financement par cotisations que veut entreprendre le gouvernement“, précise-t-il. Il avance deux propositions pour mieux financer la sécu: supprimer le plafonnement des cotisations et prélever une taxe sur les bénéfices des entreprises. Ce qui l’inquiète surtout, ce sont les discours sur des franchises pour les plus aisés et des tranches d’indexation maximales. Il y voit la tentation de réserver l’Etat providence aux pauvres. „Si on privatise les assurances de ceux qui peuvent se le payer, il ne subsistera qu’un système caritatif pour les plus démunis.“

François Bausch (Déi Gréng) est moins catégorique: „Moduler certaines prestations selon des critères sociaux paraî t raisonnable. Mais cela risque toujours d’entraîner une désolidarisation de ceux qui sont mieux pourvus.“ Pour Bausch, il faut d’abord envisager d’autres mesures, comme la traque aux abus de l’assurance maladie. Il regrette surtout que le gouvernement procède par des mesures ponctuelles. „Plutôt que d’augmenter tel impôt et de réduire telle contribution, il serait temps pour une grande réforme fiscale, écologique et sociale – celle que nous réclamons depuis des dizaines d’années.“


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