PRÉSIDENTIELLES FRANÇAISES: Par où, la gauche ?

François Hollande élu président, ça ferait quoi ? Une analyse des enjeux des élections françaises et des manières de faire campagne selon qu’on soit rose, rouge ou vert… en France ou au Luxembourg.

Affichage « sauvage » du Front de gauche.

A deux mois et demi des élections présidentielles françaises, il semble que les jeux soient faits. Nicolas Sarkozy et François Hollande passeraient le premier tour, ensuite celui-ci l’emporterait confortablement sur celui-là. Un peu comme lors d’un Tour de France sous le règne d’Eddy Merckx ou de Lance Armstrong, on s’ennuyerait donc ferme…

Il n’en est rien. Tout d’abord parce que les sondages d’aujourd’hui rendent compte du paysage politique actuel, et non de celui du 22 avril. Il reste quelques étapes de montagne, et une avance au classement général, fût-elle considérable, n’assure pas la victoire. Même pour le duel au sprint, le casting n’est pas terminé – on se souviendra du 21 avril 2002 ressenti encore aujourd’hui comme une honte nationale par beaucoup de Françaises et de Français.

Ensuite, si l’enjeu premier d’élections présidentielles est la désignation d’un chef d’Etat, il s’agit aussi d’une sorte de concours de beauté pour des entités politiques qui n’ont que peu de chances, voire aucune, de remporter l’épreuve. C’est ce qu’on appelle « se compter » : rassembler ses « troupes » et mesurer l’audience d’une entité au sein de l’électorat. Comme les élections législatives auront lieu en juin, le score obtenu par les différents candidates et candidats influencera les négociations sur les alliances au premier tour, les désistements au second et la formation subséquente d’un gouvernement.

« Mon véritable adversaire »

Enfin, en démocratie, ce n’est pas seulement le comportement des électeurs qu’on peut qualifier de « volatil », ou, moins péjorativement, de « dynamique ». Les discours, les identités, les programmes des entités politiques évoluent quand elles passent de la nomination des candidats à la campagne présidentielle, puis aux législatives, pour finir en composante de la majorité ou de l’opposition parlementaire. Cela est évident pour un regroupement comme le Front de gauche actuel, dont l’avenir aussi bien que le programme sont encore en voie de construction. Cela vaut tout autant pour une entité centenaire comme le parti socialiste français, qui doit se déterminer sur certaines questions cruciales et, face à la crise du système, se réinventer une identité. Les acteurs politiques, loin d’être des mannequins aux attributs figés entre lesquels l’électorat peut choisir, sont en constante évolution, interagissant entre eux et avec l’opinion publique. Ainsi, dans le contexte d’un scrutin qui capte indéniablement l’attention de la population, cette campagne agit comme un formidable catalyseur de l’émergence d’idées et de forces politiques nouvelles.

« Mon véritable adversaire (…) c`est le monde de la finance. » Non, ce n’est pas Philippe Poutou, candidat du Nouveau parti anticapitaliste qui l’a dit, mais François Hollande, soupçonné d’incarner la « gauche molle » il n’y a pas si longtemps. Lors de son discours à Bourges, le 22 janvier, il semble avoir réussi à rendre crédible son ancrage à gauche. A tel point que dans un éditorial du tageblatt, Danièle Fonck, y a vu « un message dont devraient s`inspirer les sociaux-démocrates grand-ducaux qui, en confondant notamment index et hausse de salaires, s`éloignent de ceux qu`historiquement ils sont censés défendre ». Qu’on cite Hollande en exemple au LSAP se justifie certainement sur la forme, vu la tiédeur du discours des socialistes luxembourgeois. Sur le fond, on sera plus réservé.

Certes, la violence verbale à l’égard du monde de la finance se reflète dans des propositions telles que la séparation entre banque d’affaires et banque de détail ou l’introduction de nouvelles taxes. Plus généralement, Hollande a l’intention de revenir sur les cadeaux fiscaux de Sarkozy. Ce qui, d’après « Le Monde », pourrait même déclencher une vague d’« expatriation fiscale », typiquement des gens qui « s`installent à Londres et mettent leur patrimoine au Luxembourg ou en Suisse » afin d’échapper à toute imposition sur les revenus et les plus-values. Il s’agit clairement de rallier la sensibilité incarnée par le mouvement des « indignés », la variante latine d’« Occupy Wall Street ».

Autre point fort des annonces de Hollande, celle de vouloir renégocier le pacte intergouvernemental de la zone euro. C’est plus facile à dire qu’à faire, mais cela constitue une reconnaissance du bien-fondé du scepticisme généralisé des Français par rapport aux politiques d’austérité décidées au niveau européen. Enfin, le retour à la retraite à 60 ans a également valeur de symbole, car elle revient sur une décision présentée comme « indispensable » par le gouvernement actuel. En conclusion d’un discours conçu pour affirmer son profil d’anti-Sarkozy, le candidat socialiste a lancé : « Dans trois mois, nous ferons gagner la gauche, avancer la France ! Le changement, j`y suis prêt ! »

Or, la portée de ce « changement » reste mal définie. Ainsi, du côté de la revalorisation du salaire minimum, Hollande n’a pas voulu prendre d’engagement ferme. Et contre le chômage des jeunes, il promet certes 150.000 « emplois d’avenir » – alors que le programme de son parti en prévoyait 300.000. C’est que, malgré les projets en matière de fiscalité, malgré son rejet formel de l’austérité, Hollande reste attaché à l’idée d’assainir les finances publiques. Et de soumettre, comme le font d’autres gouvernments, certaines dépenses à une « réserve de financement ». Au Bourget, il a eu l’honnêteté intellectuelle de dire cela aussi : « Je ne promettrai que ce que je suis capable de tenir. »

Quant au nucléaire, il interprétera de manière minimaliste l’accord conclu avec les Verts (voir woxx 1144) : réduction de la part de l’énergie atomique à l’horizon 2025, mais fermeture de la seule centrale de Fessenheim d’ici 2017. Enfin, en matière de sécurité, son discours a carrément penché vers la droite, avec une mise en garde contre le « petit caïd avec sa bande » : « Le prochain président les prévient, la République, oui, la République vous rattrapera ! »

Le LSAP interpellé

Particularité de la gauche française, l’attachement aux « valeurs républicaines » a des conséquences ambigues. Il a pu servir à mobiliser contre les discriminations à l’embauche ou contre les écoles confessionelles, mais aussi à justifier des positionnements plus controversés : interdire le voile ou la bourqa, rejeter le principe des « discriminations positives ». Qu’Hollande se situe clairement du côté du purisme républicain ne suffira pas pour faire fuir les esprits plutôt soixante-huitards – le spectre de la droite dure sarkozienne les effraie trop. Mais cela séduira une partie de la gauche de son mouvement, et compensera leur déception par rapport aux détails du programme du candidat.

« Son programme n’est pas fondamentalement différent du nôtre », affirme Alex Bodry, et rajoute : « Il ne demande même pas l’indexation des salaires. » Le président du LSAP, qui suit depuis longtemps ce qui se passe dans les partis socialistes voisins, ne cache pas son admiration pour la métamorphose du candidat Hollande : « Dans le passé, il a été donné pour mort, mais il s’est toujours relevé. Lors des primaires, il a dû s’affirmer contre Martine Aubry, alors qu’il a toujours été l’homme du consensus. Il y a réussi, comme il a réussi à changer son image. »

La manière dont Hollande s’adresse aux attentes de sa gauche peut-elle servir d’exemple ? Bodry ne veut pas en entendre parler : « La retraite à 60 ans, pas besoin de l’introduire au Luxembourg. Quant au niveau des pensions, il est nettement plus élevé qu’en France. » Le président du LSAP souligne que la position de départ est très différente. « On est au gouvernement, et on a pu éviter jusqu’ici les politiques d’austérité pratiquées ailleurs. » Quant au rejet du pacte intergouvernemental par Hollande, Bodry s’en félicite : « Personnellement, je trouve ce pacte
déséquilibré, on n’y insiste pas assez sur la croissance. » Ce n’est pas pour autant que le LSAP va refuser de le ratifier. « En tant que parti de gouvernement, nous devons accepter que le Luxembourg ne peut pas faire bande à part. On doit se situer par rapport à un processus européen, avec les majorités qui sont ce qu’elles sont. »

C’est en cela que le socialiste luxembourgeois attribue une grande importance aux élections chez nos voisins : « Une alternance en France se répercuterait au niveau européen. Cela permettrait de corriger l’orientation politique, surtout si des changements de majorité se produisaient aussi en Italie et en Allemagne. » Bodry rappelle que les institutions de l’Union sont dominées par des majorités conservatrices et libérales. « Des politiques différentes, par exemple par rapport au système financier, ne sont possibles qu’à l’échelle européenne. » Il espère aussi qu’une victoire socialiste en France dynamisera le parti socialiste européen, auquel il manquerait une personnalité fédératrice.

Tout cela, pour le moment, doit apparaître comme secondaire au candidat François Hollande. En effet, sa priorité est de remporter les élections. Et pour cela, il lui faut passer le premier tour. Son virage à gauche est ainsi en premier lieu un mouvement tactique, afin de s’assurer contre un remake de 2002. Cette année-là, le candidat Lionel Jospin s’était tellement penché vers le centre que des voix de gauche lui avaient manqué, conduisant à un face-à-face entre droite et extrême droite au second tour.

La gauche « piment »

Certes, les sondages mettent Hollande en tête, à six points devant Sarkozy et à dix points au moins devant Marine Le Pen. Mais d’une part, le souvenir de l’humiliation de 2002 est encore vif – les sondeurs s’étaient trompés. De l’autre, il y a un candidat de la gauche radicale qui profite d’une dynamique unitaire inexistante il y a dix ans. Jean-Luc Mélenchon est loin derrière le candidat socialiste dans les sondages, mais avec dix pour cent d’intentions de vote, il n’a certainement pas épuisé son potentiel, en 2002, le vote à gauche du PS et des Verts avait rassemblé vingt pour cent. Choisir le candidat de la « vraie » gauche et lui offrir un score honorable pourrait tenter de nombreux électrices et électeurs de gauche. D’où la nécessité, pour Hollande, de se montrer suffisamment radical au premier tour, pour ensuite afficher son côté « centriste » au second tour.

Le second tour n’est pas le problème de Mélenchon. Appartenant à l’aile gauche du PS, ancien ministre, il a quitté sa formation en 2008 pour fonder le Parti de gauche. Dès les élections européennes de l’année suivante s’est créé le Front de gauche, rassemblant une partie des mouvements du « non » au projet de constitution européenne de 2005, notamment le Parti communiste (PCF) et le Parti de gauche. La confirmation de cette alliance pour les présidentielles pourrait conduire à un renouveau de la gauche radicale en France. En effet, depuis les années 80, le poids électoral du PCF s’était réparti sur de nombreux « petits » partis et candidats. En 2007, la tentative de lancer une candidature commune avait échoué. En présentant cette fois-ci Mélenchon, le score de cette sensibilité pourrait, pour la première fois depuis 1981, dépasser les dix pour cent.

Si les critiques de Hollande lui reprochent une certaine fadeur, ceux de Mélenchon critiquent ses interventions pimentées. A force de tirades et de coups de gueule, il pourrait apparaître comme un populiste. Comment a-t-il alors fait pour rassembler au sein du Parti de gauche des personnalités crédibles venues d’horizons divers ? Pour comprendre, il suffit d’écouter en détail ce qu’il dit. Ainsi, interviewé par Libé, Mélenchon se la joue antimondialiste : « Tant que l`on aura des frontières totalement ouvertes, sans visas sociaux, la saignée continuera. Le dumping social mondial continuera à vider l`économie de sa substance. » Mais le candidat ne tombe pas pour autant dans le nationalisme anti-allemand, pourtant populaire parmi ses électeurs : « La masse du peuple allemand est maltraitée, sous-payée, humiliée (…) Nous avons donc une discussion qui n`est pas franco-allemande. C`est une discussion gauche contre droite. » A sa manière, il reprend les thèmes altermondialistes, et même écologistes, avec cette phrase un peu surprenante : « Le coeur du programme du Front de gauche, c`est la planification écologique. »

Les relations entre le PS et cette force nouvelle restent à définir. Les socialistes auront besoin de son appui pour les législatives, voire pour former un gouvernement, mais ont remis à plus tard les négociations sur un accord électoral. Mélenchon de son côté maintient un certain flou sur ce qu’il va faire au second tour… « à supposer que, pour notre malheur, ce soit François Hollande qui soit en tête de la gauche et pas moi. » La boutade sert aussi un peu de programme : après s’être inspiré chez « Die Linke » pour fonder le Parti de gauche, Mélenchon rêve qu’à la manière de Hugo Chavez ou d’Evo Morales, la gauche radicale devienne un jour hégémonique en France.

La mode « Roud-Gréng »

Au Luxembourg, on n’en est pas encore là. C’est Déi Lénk qui représente la gauche radicale à la Chambre – avec un député. Fabienne Lentz, représentante de ce mouvement au bureau exécutif du Parti de la gauche européenne, relève surtout la dynamique de rassemblement : « Ce serait bien qu’au Luxembourg aussi, tout ce qui se trouve à gauche des socialistes se mette ensemble. » Elle estime que la question sur la participation gouvernementale, qui se pose en France, est « difficile ». Au Luxembourg, elle a pu se poser au niveau communal : « Pour le moment, nous avons l’impression qu’il n’y a pas de véritable partenaire pour le faire dans de bonnes conditions. »

Faudrait-il qu’au Luxembourg aussi un ex-ministre socialiste vienne dynamiser Déi Lénk ? Lentz esquive en expliquant que la personnalisation joue plus en France à cause des présidentielles, puis assure : « Certains de nos membres sont venus du LSAP, il y a un ras-le-bol au sein de ce parti. Mais un ex-ministre … je ne vois pas qui. » Elle aussi se montre prudente en matière de « démondialisation » : « Il faut surtout s’opposer à la mondialisation libérale. » Déi Lénk se prononce pour une dose de protectionnisme, mais au niveau européen, et surtout : « L’important, c’est de décider nous-mêmes ce qu’on importe et ce qu’on veut produire ici. » Là encore, altermondialisme et écologie sont intégrés au discours : « Il faut arrêter de subventionner les exportations agricoles et d’importer des tomates de je-ne-sais-où. »

En France, les dépositaires de l’écologie, les Verts, passent un moment difficile. D’un côté, la gauche radicale reprend leurs sujets, même si le PCF a empêché un engagement antinucléaire net. De l’autre, ils se sont alliés à un Parti socialiste qui ne fait pas campagne sur la politique environnementale. Et le choix de présenter une candidate aux présidentielles afin de faire parler des enjeux écologiques dans le cadre de la campagne n’a pour l’instant pas payé. Eva Joly a surtout retenu l’attention des médias quand elle a mis en doute l’opportunité de l’accord avec le PS (woxx 1144), mais sa prestation a alors été jugée contre-productive.

A part le très médiatique Noël Mamère en 2002, les candidats verts sont toujours restés en-dessous des cinq pour cent. Cela n’a pas empêché le parti de faire de bons scores lors des élections législatives et européennes, atteignant 16,28 pour cent pour « Europe Ecologie » en 2009, juste derrière les 16,48 pour cent du PS. Pour l’instant, les sondages donnent beaucoup moins à Joly, pourtant une personnalité altermondialiste respectée. On lui reproche sa manière de parler, avec son accent bizarre et son ton sec… Mais une certaine frange de la gauche, désespérée de ne pas entendre parler d’écologie et de voir le sociétal réduit à « la République » pourrait en fin de compte se rallier à cette troisième force de gauche.

Jena Huss, fondateur des Verts luxembourgeois et observateur averti des gauches luxembourgeoises et européennes, défend en tout cas la candidate : « Elle a bien raison de vouloir mener sa propre campagne, sans ménager l’allié socialiste. » Huss, qui fait partie de l’aile gauche de Déi Gréng, apprécie l’ancienne juge qui s’est battue contre la corruption et les multinationales. Interrogé sur la manière dont les Verts français soignent leur profil altermondialiste, il assure que Déi Gréng ont « d’excellents contacts avec les ONG et les initiatives de l’économie solidaire ». Dans le contexte de la crise, il estime qu’il faut affronter les multinationales et mener des politiques de redistribution. Il évoque même une « indexation des salaires au niveau européen ».

Sur la question de la participation au pouvoir, Huss se veut réaliste : « Si on veut changer des choses, il faut accepter des compromis. » Il applaudit la constitution d’un axe rouge-vert en France et en Allemagne. « Si un jour Déi Gréng doivent participer à un gouvernement, je préférerais que ce soit dans cette constellation. Si cela est possible au Luxembourg. » Au niveau local, l’actuel échevin insiste plutôt sur la compatibilité programmatique : « Il ne faut pas se faire l’esclave des logiques de couleurs. Certains dirigeants locaux socialistes sont des têtes de mule, et nous ont obligé à passer d’autres alliances. Mais j’ai toujours favorisé les coalitions rouges-vertes, comme ici à Esch. » Quant au PS, Huss le considère comme « plus à gauche que les socialistes allemands et luxembourgeois ». Et il a particulièrement goûté la « déclaration fracassante » sur les marchés financiers de François Hollande.

C’est vrai qu’on n’entend guère ce genre de critique du « monde financier » du côté du LSAP… ni de Déi Gréng. Qu’en sera-t-il en France après le 22 avril ?


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