INTERNET: Ad Acta

La cyber-guerre qui faisait tant fantasmer il y a quelques années vient de commencer. Et les défenseurs de la liberté du net affrontent les tenants de la « sécurité » dans les rues du monde entier.

La vague de protestation contre Acta (Anti Counterfeit Trade Agreement), un pacte commercial international qui veut imposer des normes draconiennes contre toutes sortes de contrefaçons dans le monde est devenue internationale. Des parlementaires polonais qui mettent des masques Anonymous, en passant par les partis des pirates europeéns qui se mobilisent, jusqu’au Luxembourg, où, après les pirates locaux, Déi Greng et Déi Lénk viennent de se joindre à la manif qui aura lieu ce samedi midi à la place d’Armes. Tout le monde est contre Acta. Mais personne ne saurait dire ce que contient vraiment cet « agreement », d’ailleurs déjà signé par les gouvernements de 22 pays européens, parmi lesquels le Luxembourg. L’obstacle premier à une compréhension des dimensions d’Acta est son opacité. Les négociations entre gouvernements et gros industriels ont eu lieu à huis clos, et même si le texte est désormais public, les protocoles de négociation manquent. Or, ils sont les clés de l’interprétation future du texte, qui entrera en application après avoir enjambé encore quelques obstacles démocratiques, dont le parlement européen.

Le problème avec Acta, c’est que beaucoup le perçoivent comme un texte ne concernant que des « trucs sur internet », alors que les implications dans le monde réel sont évidentes. Non seulement en ce qui concerne la répression contre les file-sharers et autres flibustiers de la toile, car Acta s’applique aussi bien aux biens matériels. Et c’est là que le bât blesse : les médicaments génériques, qui sont une vraie panacée pour le Tiers Monde qui ne peut pas se payer nos molécules « originales », pourraient bien être rendus illégaux, ce qui laisse entrevoir des catastrophes humanitaires en série. Mais ce n’est pas le seul secteur touché. En théorie, à chaque fois qu’on copie quelque-chose et ne serait-ce qu’une image drôle trouvée sur un réseau social, les grandes firmes peuvent invoquer Acta pour vous réprimer. Et pour ce faire, ils auront besoin de tuer le dernier petit reste de sphère privée sur internet.

Pourtant, cette semaine une autre journée d’action est venue en rajouter à la confusion : le Safer Internet Day. Présenté par les responsables politiques comme une action de sensibilisation pour les plus jeunes surfeurs, la majorité des organisateurs de cette journée européenne ont fait passer en douce le message sous-jacent qu’à l’avenir, pour les jeunes il importerait autant de faire gaffe de ne pas copier que de se méfier des pédophiles sur internet. C’était le cas en Allemagne par exemple, où la ministre de la famille Kristina Schröder a fait comme si Acta était déjà devenu une réalité.

Quant à apprécier la valeur symbolique d`Acta, on n’a qu’à revenir quelques années en arrière quand, en France par exemple, la bataille autour des textes Hadopi 1 et 2 faisait rage. C’est la vieille guerre entre les tenants d’un droit d’auteur strict et rigide et la nouvelle communauté online qui s’est vite habitué au partage illimité de contenus. Alors que les premiers veulent par force imposer leur loi sans prendre garde aux conséquences néfastes qu’elle aura sur la réalité, leurs adversaires se montrent tout aussi inflexibles en ce qui concerne un éventuel compromis qui rémunérerait les créateurs de façon adéquate tout en respectant la liberté de chacun – alors que ces modèles existent (voir woxx 1011).

En d’autres mots, les enjeux d’Acta dépassent de loin ceux qui se battent pour ou contre ce texte. La bataille qui vient de commencer est la première d’un « Kulturkampf » qui risque d’avoir des conséquences qu’on n’ose pas encore imaginer. D’ailleurs, ironie du sort, si Acta devenait réalité, ce serait aux manifestants de payer en premier. Car le symbole choisi par la vague internationale – une pieuvre en train de manger le globe – est une copie d’une caricature utilisée fréquemment dans les années 1930 par la propagande nazie allemande?


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