DÉBAT: L’école, fondamentalement

Le débat « Fir d’Liewe léieren ? », organisé conjointement par le woxx et RTL-Radio s’est penché sur les questions fondamentales concernant l’école. En voici un bref résumé.

Deux de nos débatteurs de la soirée : Mady Delvaux et Guy Foetz.

Organiser un débat recèle toujours un certain nombre d’inconnues : l’évènement n’en chevauchera-t-il pas un autre ? Intéressera-t-il suffisamment de gens ? La salle ne sera-t-elle pas trop vide, ou, à l’inverse, y aura-t-il assez de places assises ? De ce point de vue au moins, le pari fut tenu. Le débat organisé conjointement par le woxx et RTL-Radio mardi dernier – avec l’aimable participation de l’Asti qui a assuré la traduction vers le français – avait pour intitulé « Fir d’Liewe léieren ? ». Une énième conférence au sujet de l’école ? Il est vrai que nous nous étions posé la question de l’opportunité d’une telle chose (voir éditorial du woxx 1152). Mais nous tenions à ce que le débat ne devienne pas trop technique et ne porte pas trop sur des questions de détail. L’école concerne tout le monde et le discours doit pouvoir être à la portée de tous. Les participant-e-s étaient prévenu-e-s et l’on peut dire qu’ils ont réussi à s’y tenir. Mady Delvaux, la ministre de l’Education nationale, Marc Fischbach, ancien titulaire du même portefeuille (de 1989 à 1995), Guy Foetz, vice-président du SEW (Syndikat Erzéiung a Wëssenschaft) et lui-même professeur d’économie dans le secondaire et Michel Pauly, ancien enseignant du secondaire et actuellement enseignant-chercheur en histoire à l’Université du Luxembourg ainsi que fondateur du mensuel Forum se sont fait face ainsi qu’au public pendant plus de deux heures.

C’est l’ancien ministre chrétien-social Fischbach qui a ouvert le bal. Les moins jeunes se souviennent que Fischbach tenta de revaloriser l’enseignement technique (EST) et par-là d’amorcer un « rapprochement » entre les deux ordres d’enseignement. « La question de la définition de la culture générale se posait de manière identique à l’époque », affirma-t-il. « Il s’agissait de savoir comment allier la formation professionnelle avec une culture générale d’un niveau élevé ». Michel Pauly rappela que les deux-tiers des élèves sont toujours dans l’EST et seulement un petit tiers dans l’enseignement dit classique (ES). Dans ce sens, c’est l’EST qui représente le plus grand défi et il regretta que l’on ait trop tendance à faire comme si tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes dans l’ES, étant donné qu’il rassemble les élèves qui éprouvent le moins de difficultés dans le système scolaire actuel. Il rappela ainsi que le caractère discriminant aussi bien d’un point de vue social que d’un point de vue des « nationalités » du système. Les réformes actuelles vont-elles dans le bon sens ? « Si les textes du ministère s’accordent pour améliorer l’égalité des chances, alors je suis d’accord avec cet objectif », répondit-il.

Les compétences : une chance pour les élèves ou pour l’industrie ?

Guy Foetz s’est montré beaucoup plus sceptique : « Cela fait 40 ans que nous accueillons beaucoup d’enfants d’origine portugaise et qu’avons-nous fait pour eux ? » A la question de savoir quelle mesure il prendrait s’il était ministre de l’Education nationale, Foetz cita comme priorité l’apprentissage de l’allemand comme langue étrangère ainsi qu’un soutien accru pour les élèves qui rencontrent des difficultés dès la première année de leur scolarisation. Et de rappeler que l’alliance (qu’il qualifia de « coalition ») avec le syndicat Apess (réputé plus conservateur alors que le SEW se situe sur la gauche de l’échiquier politique), qui est ressentie comme troublante par certain-e-s a pour objectif principal de « contrer » les réformes actuelles, qui, d’après eux, mettraient en cause le principe humaniste de l’école.

Ce fut le tour à la ministre. Qu’a-t-elle à répondre à certains reproches selon lesquelles elle et son ministère se seraient éloignés du « terrain » et si elle pouvait se mettre dans la peau des enseignant-e-s. « C’est un reproche que je ne peux pas accepter », rétorqua-t-elle. « Nous avons fait des tournées innombrables dans les établissements, nous avons créé des groupes de travail et lancé des appels à participation à tous les enseignants, nous avions des consultations régulières avec les syndicats ». Celle qui fut professeure de latin ne pouvait évidemment pas réprimer une citation : « Non scholae sed vitae discimus » (« Il ne s’agit pas d’apprendre pour l’école mais pour la vie »). Une manière de défendre sa réforme portant sur l’enseignement par compétences qui est virulemment attaquée par les syndicats. « Je ne peux pas accepter que des élèves quittent l’école sans disposer des compétences nécessaires pour se débrouiller dans la vie ». Un problème de fond, peut-être aussi un problème d’interprétation. Guy Foetz en donna en tout cas un exemple : « L’enseignement par compétences sert principalement à renverser la logique. Au lieu d’enseigner des savoirs qui permettent de se servir des techniques, on enseigne des techniques en pensant qu’elles vont ouvrir la voie aux savoirs ». Plus tard dans le débat, Foetz ira plus loin en affirmant, citations d’experts à l’appui, que l’enseignement par compétences est principalement une revendication patronale destinée à faire des élèves non pas des êtres dotés d’un esprit critique, mais des unités de main-d’oeuvre.

Michel Pauly prit l’exemple d’un étudiant en histoire poursuivant ses études en Allemagne et qui témoigne dans un texte que l’enseignement de l’histoire dans les lycées grand-ducaux est essentiellement basé sur l’apprentissage des faits sans communiquer aux élèves l’esprit analytique bien plus important pour cette discipline. « Je parle de l’enseignement de l’histoire, mais je crains que cela ne s’applique également à d’autres disciplines », conclua-t-il. Un constat contesté par Foetz, qui cite l’exemple d’un collègue pratiquant d’ores et déjà l’interdisciplinarité en liant l’enseignement de l’histoire aux langues : « Ce collègue donne des travaux à ses élèves sur le fascisme. A ceux qui apprennent l’espagnol, il leur propose de travailler sur le franquisme et à ceux qui apprennent l’italien, sur la période mussolinienne ».

Le tronc commun : tous d’accord, mais…

Loin de pouvoir publier un compte-rendu exhaustif du débat, il faut néanmoins revenir sur la discussion autour du tronc commun que l’ancien président de l’Asti, Serge Kollwelter, a lancé depuis le public : « On ne peut séparer les élèves prématurément dans différents ordres d’enseignement. Le principe du tronc commun est une question de cohésion sociale ». L’occasion pour Marc Fischbach, dont le parti avait sabordé le projet initié sous la coalition socialo-libérale (1974-1979) après être revenu aux affaires, d’admettre que le projet avait échoué pour des raisons « principalement idéologiques », de concéder qu’il serait toutefois intéressant « d’y réfléchir ». « J’avoue que je n’ai pas osé y toucher », a répondu Delvaux, signalant le nombre de réticences de mettre en oeuvre une réforme aussi « radicale », tout en rappelant que la loi n’a jamais été abrogée, mais que le successeur chrétien-social au ministère de l’Education, Fernand Boden (1979-1989) avait tout simplement laissé reposer les dispositions d’exécution. Une occasion pour Guy Foetz de rappeler, afin de tordre le cou aux accusations de conservatisme, qu’il avait alors choisi d’enseigner au Lycée technique Nic. Biever de Dudelange (alors le lycée pionnier du tronc commun) pour participer à cette expérience.

Vous pourrez écouter un résumé du débat (40 minutes) qui sera diffusé sur RTL-Radio le 14 mars dans le cadre de l’émission « Background ».


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