L’Université du Luxembourg a été offerte aux friches de Belval. Alors que les élus de la capitale et du Sud se passionnent pour la question de son emplacement, les acteurs du monde universitaire espèrent simplement que le site, quel qu’il soit, corresponde à leurs attentes.
Cette fois-ci, Hurricane Mitch n’a pas balayé l’Amérique centrale. On le croyait disparu, mais il a de nouveau fait des siennes. Il aura attendu le 23 décembre 2005, un jour avant la veille de Noël, pour s’abattre en plein dans la capitale, au „Knuedler“ pour être précis. François Biltgen, celui que le premier ministre a un jour comparé à une des principales catastrophes naturelles de la dernière décennie, a sérieusement sonné les locataires de l’Hôtel de Ville de Luxembourg. Depuis l’annonce du ministre de l’enseignement supérieur d’implanter le futur site de l’Université du Luxembourg sur les friches de Belval-Ouest, les mandataires politiques de la capitale sombrent dans la dépression.
Malgré l’accord de coalition qui prévoyait de répartir l’université sur deux sites – Luxembourg et Belval-Ouest – le gouvernement a décidé de faire de la métropole du fer la première véritable cité universitaire du pays. Les responsables politiques de la capitale n’en reviennent toujours pas. On savait le bourgmestre Paul Helminger particulièrement amer, son échevin Xavier Bettel est quant à lui franchement en colère: „Le plus choquant dans cette histoire, c’est le manque absolu de communication. Depuis que je suis en fonction, je suis en train d’organiser 300 logements pour étudiants et maintenant, on nous annonce du jour au lendemain que l’université va déménager. C’est une saloperie!“
La colère des édiles de Luxembourg est compréhensible. L’accord gouvernemental passé entre le CSV et le LSAP est d’une limpidité cristalline au sujet des sites: „A côté du site de la Cité des Sciences à Belval-Ouest, le Gouvernement s’efforcera, dans un souci d’optimisation des ressources, de rassembler à moyen terme sur un site unique, situé sur le territoire de la Ville de Luxembourg, la Faculté de Droit, d’Economie et de Finance ainsi que la Faculté des Lettres, des Sciences humaines, des Arts et des Sciences de l’éducation.“
L’ire est telle, que le bourgmestre en a appelé à tous les acteurs de l’université à faire front ensemble pour sauver le site de Luxembourg. Reste à savoir si ceux-ci y sont vraiment intéressés. Il semble en effet que l’unicité du site prévale de loin sur son emplacement géographique. Unisono, les organisations estudiantines UNEL et ACEL ainsi que la Luxembourg University Students Organisation (LUS) – l’organisation des étudiant-e-s de l’UdL – ont salué le principe d’un site unique. S’il est vrai que le choix de Belval-Ouest ne provoque pas l’euphorie dans leurs rangs, ces dernières semblent se résigner à ce que, après tout, la question a été tranchée. Même son de cloche de la part de l’Association des Enseignants et Chercheurs du Supérieur (AECS) qui se dit satisfaite de la décision tout en précisant qu’elle avait toutefois privilégié le quartier du Kirchberg.
Mieux que rien
Quant aux organisations politiques de jeunesse, elles ne mâchent pas leurs mots. Ainsi, les sections de Luxembourg-ville des jeunes du CSV, du DP et du LSAP regrettent clairement le choix du gouvernement et relaient la position de leurs aî nés. Dépourvus de section locale, les jeunes Verts ne se soucient pas trop de l’implantation locale. „Nous ne voulons pas faire dans le patriotisme local. La question n’est pas de savoir où l’université sera implantée „, estime Nuria Garcia, porte-parole des Jonk Gréng. „Il faut lancer des discussions de fond, notamment de savoir si l’UdL doit devenir, comme le veut le recteur, une université élitaire ou pas.“
S’il est vrai que de tels débats géographiques peuvent sembler absurdes dans un pays aux distances limitées, la question du site n’est pas tout à fait sans importance. La vie sociale et culturelle qui entoure la vie universitaire est une plus-value non négligeable. Dans ce sens, il convient en effet de savoir à quoi les étudiant-e-s, qui passeront leurs journées sur d’anciennes friches industrielles dont personne ne sait de quoi elles auront l’air, devront s’attendre. La capitale peut par contre éviter de mauvaises surprises.
Concernant l’argument des problèmes de transport et de l’inadaptation à l’IVL qui aurait joué en la défaveur de Luxembourg, les porte-paroles des principales fractions au Knuedler sortent une nouvelle arme: Hollerich et Gasperich. Qu’ils se nomment Marc Angel pour le LSAP, Laurent Mosar pour le CSV ou François Bausch pour les Verts, tous s’accordent pour trouver tous les avantages à ces quartiers. „Non seulement en seraient-ils revalorisés, mais ils ont l’avantage d’être proches des transports ferroviaires“, estime Marc Angel.
En tout cas, la détermination des „Stater“ ne semble pas être à bout de souffle et le concours aux plus beaux arguments – même les plus hasardeux – est ouvert. Ainsi, la question de l’emploi est-elle systématiquement mise en évidence du nord au sud de l’Alzette. Tandis que les élu-e-s du Sud sont persuadé-e-s que l’université apportera de nouveaux emplois à leur région, celles et ceux de la capitale défendent bec et ongle la proximité avec la place financière, surtout pour ce qui est de la faculté de droit, d’économie et des finances. Une analyse qui laisse l’Association des Banques et Banquiers Luxembourgeois (ABBL) assez perplexe: „La question du site est secondaire. Le pays est si petit que cela ne joue aucun rôle décisif“, explique son directeur Jean-Jacques Rommes.
Uni-Hollerich?
Il semble en tout cas que la question du site passionne beaucoup plus les mandataires politiques actuels et futurs que les véritables concernés. Et tous les arguments sont bons pour défendre „sa“ région et „son“ site. Sous peine de ne plus voir les véritables enjeux que constitue une université. Lors de sa conférence de presse du 30 décembre 2005, l’UNEL ne s’est en effet pas trop étendue sur la question, privilégiant la question des frais d’inscription et relevant que l’UdL se laisse conseiller par le „Centrum für Hochschulentwicklung“ de la fondation Bertelsmann, organisme honni par les milieux étudiants en Allemagne pour sa guerre engagée contre la gratuité de l’enseignement supérieur.
Si les discussions autour de sites passionnent tant, il est en effet dommage qu’ils occultent les questions fondamentales. S’agissant de l’UdL, il est à l’heure actuelle plus important de savoir ce que l’on va bâtir avant de savoir où. Au lieu de jubiler, les hommes et femmes politiques du Sud, surtout de gauche, feraient mieux de se poser la question, si, au final, ils auront une véritable université sur leurs friches. Car il ne faut pas oublier le contexte politique dans lequel la loi avait été votée. Tout porte à croire que l’UdL ne correspondra pas aux attentes des tenants d’une université démocratique, publique et ouverte. La volonté affichée du gouvernement et de la direction universitaire de créer une université élitaire n’est pas de bon augure. Prise entre les contre-réformes libérales et les joutes locales, l’UdL est sur une bien mauvaise orbite.