Intervenir du côté des rebelles sans risquer sa peau, l’opération libyenne de 2011 ressemblait à une panacée. Faut-il la retenter en Syrie ?
Faut-il intervenir, faut-il laisser faire ? Comme avec la Libye il y a un an, ce type de question est vivement débattu parmi les gens de bonne volonté. Comme avec la Libye, il y a des réponses tranchées : non à toute intervention au nom du pacifisme ou de l’anti-impérialisme pour les uns, oui à une « solution » militaire au nom d’un pragmatisme simplificateur voire aveugle pour les autres.
Un coup d’oeil sur les rivages du golfe de Syrte rappelle pourtant que les solutions « pragmatiques » sont source de problèmes insoupçonnés par leurs partisans. Cela suffira-t-il pour refroidir l’enthousiasme des interventions armées qui hante les relations internationales depuis le « sauvetage » du Kosovo en 1999 ? Certes, dès le printemps 2003, dans une situation comparable, le camp occidental s’est divisé sur l’opportunité d’envahir l’Irak. Mais quelques mois plus tard, la plupart des pays ont apporté leur soutien à l’occupation anglo-américaine. Et en 2005, l’Onu a adopté le principe de la « responsabilité de protéger », ouvrant la porte à la politique de la canonnière.
En effet, de nombreux cas de répression n’entraînent pas ou peu de réactions – Tchétchénie, Sri Lanka, Palestine, Tibet, Bahrëin – tandis que d’autres donnent lieu à des interventions musclées, la Libye étant l’exemple le plus récent. Les faits montrent que ce n’est pas une responsabilité que l’Onu a introduite, mais le droit, réservé aux grandes puissances, de remplacer des régimes. En réhabilitant le recours à l’intervention armée, en minant l’équité du droit international, en abandonnant l’idée de sécurité collective, la communauté internationale risque un retour au 19e siècle. Les relations internationales d’alors étaient dominées par les affrontements entre empires, dans lesquels les notions de droit et de justice étaient réduits à servir de prétextes à la poursuite d’objectifs égoïstes.
Dans le cas de la Syrie, les intérêts en jeu sont multiples. Le plus évident est celui que poursuivent les Etats-Unis et Israël : affaiblir l’Iran en renversant son plus fidèle allié. Pour les Etats du Golfe, le régime syrien est un concurrent dans la lutte pour l’hégémonie du monde arabe, mais ils ne souhaitent certainement pas le remplacer par une démocratie. Un autre enjeu est plus diffus : les pays occidentaux n’aimeraient pas que la mobilisation populaire remette en question la libéralisation économique entreprise par Bachar el-Assad. A l’intérieur de la Syrie, des divergences d’intérêts économiques se rajoutent aux divisions communautaires. Et alors qu’une transition politique – pour l’instant hypothétique – permettrait de régler ces conflits par des négociations, une intervention armée conduirait à une guerre civile. Et entraînerait, comme en Libye, « une extrémisation des radicaux et une asphyxie des modérés », selon l’expression de l’expert humanitaire Rony Brauman.
Alors, faut-il ne rien faire ? La plupart des opposants à une intervention militaire estiment que des sanctions diplomatiques et économiques sont légitimes. Et l’exemple birman arrive à point nommé pour illustrer la réalité des voies pacifiques. Une réussite de la médiation en cours de Kofi Annan permettrait aussi une revalorisation de l’Onu qui, malgré ses insuffisances, symbolise un ordre international fondé sur le droit.
Bien sûr, ne pas intervenir comporte un risque, comme l’ont montré le massacre de Srebrenica en 1995 ou celui, peu médiatisé, des Tamouls au Sri Lanka en 2009. Mais le recours à une « solution » à la libyenne ou à l’irakienne anéantirait définitivement le prestige de l’Onu et du droit international. A court terme, les pragmatiques se féliciteraient alors d’avoir « résolu » le problème syrien, mais à long terme, l’addition, sur le plan des relations internationales, serait lourde.