Le 30 juillet, la République démocratique du Congos’apprête à voter. L’Europe, dont le Luxembourg, a envoyé ses soldats pour maintenir la stabilité du pays et surtout s’assurer le libre accès à ses richesses.
La richesse est un malheur. C’est ce que se disent peut-être celles et ceux qui constituent 80 % de la population de la République démocratique du Congo (RDC) vivant en-dessous du seuil de pauvreté. Pourtant, ce pays grand comme l’Europe occidentale ne manque pas de richesses naturelles. Ses formidables gisements de diamants, d’or, d’étain, de cuivre, de cobalt ou de ce fameux coltan, utilisé pour la fabrication de téléphones portables, aiguisent particulièrement les appétits aussi bien des chefs de guerre locaux que des puissances occidentales, qui y ont déployés leurs soldats dans le cadre de la mission de stabilisation Eufor-RDCongo.
A la libération en 1960 du joug colonisateur belge, le premier premier ministre de l’indépendance, Patrice Lumumba, en fit les frais. Sa politique visant à renforcer la souveraineté nationale conduisit à son assassinat quelques mois après le début de son mandat. La Belgique, qui devait une grande partie de sa prospérité à l’ancienne propriété privée de son roi Léopold II, ne pouvait accepter d’en perdre le contrôle. Pas plus que les USA, en pleine guerre froide. En 1965, ils y installèrent le militaire putschiste Mobutu Sese Seko qui a fait régner un régime de terreur dans le désormais Zaï re. Jusqu’à ce que la transition démocratique engagée en 1991 ne commence à saper son pouvoir qu’il perd définitivement en 1997. Laurent-Désiré Kabila, à la tête de l’Alliance des forces démocratiques pour la libération (AFDL), prend alors le pouvoir. Le Zaï re redevient Congo et la nouvelle république se voit même affublée du qualificatif de démocratique. Son règne est bien plus court que celui de son prédécesseur. Entretemps, le „Mzee“ – qui signifie „sage“ en lingala – s’est attiré quelques inimitiés auprès de ses anciens alliés ougandais et rwandais en revenant sur certains contrats miniers. En janvier 2001, on le retrouve assassiné dans sons bureau. Aussitôt, c’est son jeune fils Joseph, alors âgé de 30 ans, qui lui succède.
Après les déchirements, un dialogue intercongolais est engagé entre le gouvernement, la rébellion, la société civile et la classe politique à Sun City en Afrique du sud de février 2002 à avril 2003. Cela débouche sur les accords du même nom. Ce processus comprend trois étapes: d’abord, la mise en place d’un gouvernement de transition dit d’union nationale (30 juin 2003). Le président Joseph Kabila y est flanqué de quatre vice-présidents issus des différentes tendances politiques (baptisé „système 1+ 4“). Deuxième étape, un référendum adopte une constitution en décembre 2005. La troisième étape prévoit initialement la tenue d’élections présidentielles, législatives et provinciales pour le 30 juin 2006. Elles auront finalement lieu avec un mois de retard.
Une Europe partiale
Présenté comme un texte susceptible d’apporter la „stabilité“ en RDC – les chancelleries occidentales préfèrent ce terme à celui de „démocratie“ – l’accord de Sun City ne fait pas l’unanimité. D’ailleurs, dans une question parlementaire adressée au ministre des affaires étrangères, Jean Asselborn, le député indépendant Aly Jaerling s’enquiert du déroulement du processus électoral congolais. Il s’appuie sur un rapport politique de Carlo de Filippi, chef de délégation de l’UE en RDC et sur un communiqué de presse conjoint du „Groupe Migrations“ et de la section luxembourgeoise de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti social-démocrate de l’ancien premier ministre congolais Etienne Tshisekedi. Jaerling interroge Asselborn sur le positionnement partisan de „différents politiciens de l’UE“. Louis Michel, commissaire européen à la coopération et ancien ministre des affaires étrangères de Belgique, tout comme Jean-Louis Schiltz, ministre de la coopération, y sont accusés de soutenir passivement le président sortant, Joseph Kabila. Concernant le rapport politique, Asselborn se montre laconique: arguant du caractère interne des rapports des chefs de délégation – „qui ne sont en règle générale pas distribués aux Etats membres“ – le ministre se refuse à tout commentaire. Il rejette aussi les accusations de soutien passif au président Kabila et conclut que „seul le peuple congolais choisira le vainqueur de ces élections“.
„Au départ, l’action de l’Union européenne de mener le Congo vers des élections a été applaudie. Elle y a engagé beaucoup d’énergie humaine et de moyens financiers“, déclare au woxx Jean-Jacques Godefroid, responsable de la section luxembourgeoise de l’UDPS. Toutefois, son enthousiasme s’arrête là: „Nous reprochons à l’Union qu’elle n’a pas conduit le processus électoral selon la volonté du peuple congolais.“
Il est vrai que l’UE s’est montrée particulièrement insistante pour déployer, dans le cadre de l’opération de stabilisation de la RDC – l’Eufor RDCongo -, ses 1.500 soldats. Même l’armée luxembourgeoise participe avec deux soldats, sous-officiers d’administration, dont l’un est au Congo et l’autre à Potsdam en Allemagne. L’Allemagne est d’ailleurs particulièrement intéressée à assurer militairement le maintien de la stabilité en RDC et son industrie a jeté son dévolu sur le Congo pour y étendre son espace vital. Dans un discours prononcé le 31 mars à Berlin, Karl-Heinz Dörner, grand patron de la métallurgie allemande, en a exposé les raisons profondes en ces termes: „Le Congo est la principale zone d’extraction du cobalt et, de ce fait, il revêt une importance extraordinaire pour l’industrie allemande.“ Franz-Joseph Jung, le ministre de la défense allemand (CDU), a quant à lui exprimé son attachement à la démocratie à sa manière en estimant que „la stabilité dans cette région riche en matières premières serait profitable à l’industrie allemande“. Des millions sont derrière lui.
Intérêts à peine voilés
Même son de cloche de la part de Johan Swinnen, ambassadeur de Belgique à Kinshasa, qui a confirmé à Indymedia-Belgique qu’une force militaire au Congo „rapporterait pas mal de choses“ à l’Union européenne. De telles déclarations dans la bouche du représentant d’un Etat qui a fait subir à la population congolaise des décennies durant un régime tyrannique particulièrement barbare – et auquel le gouvernement luxembourgeois participait activement – ne sont évidemment pas de nature à rassurer l’opposition congolaise, qui voit d’un mauvais oeil le flirt entre le chef d’Etat et les puissances européennes.
Honoré-Emmanuel M’biyé est secrétaire général de l'“Union des forces progressistes du Congo-Kinshasa – Branche radicale“. Son organisation s’est alliée à l’UDPS. Avocat dans le civil, il a été conseiller ambassadeur avec rang de ministre auprès de Laurent-Désiré Kabila pendant deux ans, avant que ce dernier ne le fasse arrêter et torturer. „J’avais rejoins le combat de Kabila dans sa lutte contre Mobutu car je voulais mettre fin à ce système oligarchique et à l’injustice sociale. Mais j’ai vite dû constater que Kabila faisait en peu de temps ce que Mobutu avait mis des années à faire“, explique-t-il au woxx. Kabila fils ne trouve pas plus de grâce à ses yeux, c’est même pire: „Il est une marionnette des Européens et la créature de Louis Michel qui possède des mines au Congo.“
Les représentants de l’UDPS ont des raisons d’être amers. Leur parti est en effet exclu du processus électoral: „Comment peut-on expliquer que ce soient justement les partis qui ont toujours combattu les dictatures qui soient exclus des élections? Comment l’Union européenne peut-elle accepter cela?“, se révolte Jean-Jacques Godefroid. Et de déplorer l’engagement dans cette opération de l’armée luxembourgeoise: „le Luxembourg ne devrait pas se salir dans cette entreprise.“ Pour Honoré-Emmanuel M’biyé, les élections du 30 juillet vont probablement déboucher sur une „guerre civile incontrôlable“. En effet, une bonne partie de la RDC considère la présence militaire européenne comme une ingérence et une prolongation de la domination coloniale. Ce sentiment est partagé par d’autres dans la région. Comme le rapporte l’édition de juillet du Monde diplomatique, Mosiuoa Lekota, ministre sud-africain de la défense, déclarait au mois de février que „la présence de troupes étrangères n’est pas nécessaire au Congo. Et, en cas de besoin, la SADC (Communauté de développement de l’Afrique australe), dont le Congo est membre, peut en envoyer“. D’ailleurs, Joseph Kabila lui-même, pourtant proche des Européens, aurait plutôt penché pour cette solution.
Une autre préoccupation taraude les Européens: la stabilité en RDC pourrait réduire les flux d’immigration vers le vieux continent. En cas de conflit post-électoral, cet espoir risque de se révéler trompeur. A l’instar de plusieurs Congolais du Luxembourg, Jean-Jacques Godefroid déplore que le Luxembourg n’ait plus reconnu à aucun de ses compatriotes le statut de réfugié depuis trois ans. Et d’ajouter: „Les Congolais sont massacrés chez eux. Quand ils viennent en Europe, il n’est pas considéré comme un être humain.“ Et quand les Européens vont en Afrique, les Africains ne sont souvent pas mieux traités.