DROITS POLITIQUES: Difficile démocratie

Citoyenneté pour les uns, double nationalité pour les autres: le cercle Joseph Bech propose d’élargir le cercle des personnes disposant des droits politiques. Mais en fait, il veut créer de nouvelles discriminations.

De vrais Luxos: Frank Engel et Patrick Santer présentent la contribution du cercle Bech au débat sur la nationalité. (photo: Renée Wagener)

„On peut voir les choses de façon plus originale qu’il ne l’a été le cas jusqu’ici.“ De telle manière, Frank Engel a tenté de justifier les positions contradictoires entre le cercle Joseph Bech d’une part, et les ministres d’Etat et de la Justice, d’autre part. Originales, c’est le moins qu’on puisse dire des positions en matière d’introduction de la double nationalité présentées par le club de réflexion proche du parti chrétien-social lors d’une conférence de presse lundi.

Selon le modèle d’Engel et de ses collègues, le système de la double nationalité serait réservé aux non-communautaires. Par contre, les personnes au passeport rouge foncé délivré par un pays membre de l’Union, ne seraient plus naturalisées, mais obtiendraient tous les droits politiques ainsi que – s’ils maî trisent les trois langues officielles – l’accès à la fonction publique. Ce curieux mélange entre les concepts de nationalité et de citoyenneté se veut surtout pro-européen. Il conviendrait de donner à cette identité européenne, qui jusqu’ici n’a pas eu de véritable impact, des attributions réelles.

C’est un tout autre son de cloche que celui du gouvernement. Alors que le premier ministre prône depuis quelques années les vertus de la double nationalité en matière de cohésion sociale, la loi sur la nationalité luxembourgeoise de 2001 ne prévoyait tout simplement pas d’ouverture en matière de double nationalité. Maintenant, le ministre de la justice vient d’annoncer un projet de loi sur la double nationalité. Mais d’après Luc Frieden, cette réforme vise surtout les enfants de personnes immigrées. Dans cette logique, il propose des conditions de résidence doublement plus longues que celles qui jouent lors d’une simple naturalisation. Alors que Frieden a dans les dernières semaines – fait nouveau – consulté tous les partis sur à ce dossier, il est probable que les dix ans de résidence seront matière à négociation. Par contre, la connaissance orale du luxembourgeois ainsi qu’un cours d’instruction civique resteront comme exigences pour la double nationalité.

Mériter la nationalité

On sent que Frieden reste attaché au principe du droit du sang et que, par exception à cette règle, l’accès de personnes étrangères à la nationalité luxembourgeoises doit se mériter. Une attitude qui, face à la situation démographique du pays, peut étonner, même de la part d’un ministre conservateur. Depuis 1975, c’est essentiellement l’excédent des arrivées sur les départs d’immigré-e-s qui contribue à l’accroissement de la population, le taux de natalité même des familles immigrées restant faible. Et si en termes absolus, le nombre de personnes à passeport luxembourgeois reste au niveau des 277.000 depuis 2001, chaque année 500 luxembourgeois-es meurent de plus qu’il n’en naissent. Ce ne sont donc que les naturalisations, entre 600 et 800 par an, qui assurent l’existence du „peuple luxembourgeois“. Pourtant, de 1994 à 2004, le nombre de naturalisations par an ne s’est accru que de cent dossiers, alors que la population dans son ensemble a augmenté de plus de 50.000 personnes. Et d’ailleurs, ce sont les options, donc les naturalisations par mariage, qui l’emportent (voir graphique).

Prenons l’exemple des personnes portugaises: en 2005, 30 dossiers seulement concernaient des naturalisations proprement dites, 222 des options. Pourtant, nombre de personnes portugaises hésitent à faire cette démarche même en se mariant à une personne luxembourgeoise. Telle Marta Pereira*, installée au Luxembourg depuis dix ans: „Je ne vais plus jamais retourner vivre au Portugal. Le Luxembourg, c’est mon pays d’adoption, mes attaches sont ici. Mais j’ai peur de rencontrer des complications administratives, par exemple en matière d’héritage, si je renonce à ma nationalité portugaise.“ La double nationalité serait pour elle une solution: „Ma décision est prise, je n’attend que la loi.“

Privilèges politiques

Si le nombre de non-communautaires au Luxembourg, conséquence de la politique restrictive européenne et luxembourgeoise, reste bas (6,1 % de la population et 15,4 % de la population étrangère en 2006), on constate qu’en moyenne, dans les derniers vingt ans, la moitié des naturalisations proprement dites ont concerné des ressortissant-e-s de pays tiers. Evidemment, ce sont ces personnes qui ont le plus intérêt à devenir luxembourgeoises, car elles ressentent le plus les discriminations liées à leur statut.

Le problème démographique n’est pourtant pas le seul. Jusque dans les parages du parti chrétien-social on se soucie dès à présent de la cohésion sociale dans un grand-duché où deux cinquièmes de la population sont exclus de la participation politique au niveau législatif, et où en 2001, 25% des personnes actives de nationalité luxembourgeoise étaient fonctionnaires ou employé-e-s publics. En rajoutant les secteurs assimilés, on en viendrait à 35%.

Alors que, face à cette situation, le Luxembourg commence à se faire à la double nationalité, l’approche du cercle Joseph Bech a du moins le mérite de mettre en question le concept même de nationalité – croirait-on. Car en fait, selon les „Bechistes“, les privilèges attachés jusqu’ici à la nationalité luxembourgeoise le seraient à présent à la „nationalité“ européenne, les non-communautaires en resteraient exclu-e-s. D’ailleurs, on créerait de nouvelles discriminations: si les non communautaires, pour acquérir la double nationalité, devraient passer un test en luxembourgeois oral et en instruction civique, les communautaires pourraient aller voter sans faire preuve de telles aptitudes, et sans avoir résidé au moins sept ans au Luxembourg.

Martin Boulanger*, un français de souche établi depuis dix-huit ans au Luxembourg, exprime une autre critique: „Si ces idées généreuses dépendent du bon vouloir de l’autre pays membre d’offrir les mêmes droits aux luxembourgeois, on peut s’attendre à ce qu’elles ne soient pas réalisées dans les vingt ans à venir.“ D’un autre côté, l’idée de vouloir fermer la voie de la double nationalité aux personnes issues de l’Union, paraî t d’une logique abstraite par rapport aux personnes concernées. Martin Boulanger souligne: „Mes racines sont en France, je ne veux pas les couper. C’est pourquoi la double nationalité m’intéresse. Le concept de citoyenneté me plaî t bien, mais la nationalité, c’est plus que de pouvoir aller voter. Ce n’est que par elle que j’ai le sentiment d’être aussi un luxembourgeois.“

Voies parallèles

Il n’en reste que la question mérite d’être posée, si l’accès à la nationalité est la seule voie pour assurer l’égalité entre allochtones et autochtones. Au Luxembourg, le début de cette discussion avait été fait avec l’étude Delpérée-Verwilghen, commanditée par le gouvernement luxembourgeois et rendue en janvier 2004. Les auteurs y discutent notamment la question si la citoyenneté, donc l’idée d’accorder à toutes les personnes résidentes les droits que détiennent actuellement les „nationaux“, ne pourrait pas être une alternative à l’ouverture de la nationalité. Marta Pereira saluerait l’introduction du concept de citoyenneté: „C’est une hypocrisie dans l’Union européenne de ne parler que de double nationalité.“

Le principe de la citoyenneté a un avantage très concret par rapport à celui de la (double) nationalité: comme le démontre l’introduction des droits politiques au niveau européen et communal pour les non-luxembourgeois-es, il est très facilement réalisable au niveau législatif. Par contre, toutes les dispositions qui touchent à la nationalité requièrent des accords compliqués entre pays. Pour le surplus, la procédure en vue d’obtenir la nationalité luxembourgeoise est longue et laborieuse.

Mais il est un fait que l’ouverture des droits politiques au niveau législatif ne trouve pas encore un large support. A part la Gauche, aucun parti ne l’a proposée lors des élections de 2004. Même les Verts, qui lors des élections 1999 avaient encore revendiqué un débat sur l’extension du droit de vote national, se sont limités à la voie de la double nationalité. Mais pour le député vert Felix Braz, „il n’y a pas eu de revirement politique. Dans la pratique, la double nationalité n’est pas toujours applicable. En vue de fortifier la cohésion sociale entre nationaux et migrants, la participation aux élections nationales doit être rendue possible pour tout le monde, parallèlement à l’introduction de la double nationalité.“ Pour lui, le nouveau projet de loi devrait donc dépasser la question de double nationalité: „Il nous faut un projet de société qui englobe tous les aspects de l’intégration.“ Luc Frieden aura bientôt l’occasion de préciser son attitude face à de telles revendications: le parti libéral demande de mettre le point sur l’ordre du jour en commission parlementaire, souhaitant „connaî tre les conclusions que le ministre tire de ses consultations avec les groupes parlementaires et sa position au sujet des récentes propositions du Cercle Joseph Bech.“

*noms changés par la rédaction


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