Les jeunes sont des paresseux et les chômeurs des profiteurs. Cette philosophie de comptoir s’est insinuée dans les esprits des membres du gouvernement. Avec le projet de loi 5611, la coalition CSV-LSAP légifère en conséquence.
C’est du lourd. Et pas vraiment digeste. Son intitulé en donne d’ailleurs un aperçu: „Projet de loi promouvant le maintien dans l’emploi et définissant des mesures spéciales en matière de sécurité sociale et de politique de l’environnement“. Ce texte législatif portant le numéro parlementaire 5611 et déposé par le premier ministre le 18 septembre 2006, compte 118 pages. Ce texte touffu est la conséquence directe des accords tripartites conclus cette année au printemps.
Ce mardi, le président du groupe parlementaire des Verts, François Bausch, qualifiait ce texte de „projet de loi fourre-tout“, destiné à mieux „camoufler“ certaines mesures. A y regarder de plus près, l’on comprend pourquoi la coalition CSV-LSAP préfère ne pas présenter certains projets de réforme au grand jour: le projet de loi 5611 contient en effet une profonde contre-réforme des indemnités de chômage. Dans un communiqué de presse accompagnant son avis d’une soixantaine de pages, la Chambre des employés privés (CEPL) n’y va pas par quatre chemins: „Un projet de loi peu efficace au niveau du maintien dans l’emploi, mais très efficace au niveau des dégradations des droits des jeunes“. Pour déi Lénk, c’est clair aussi. Deux jours après le dépôt de la loi, la formation de gauche réagissait avec virulence, détournant au passage la devise révolutionnaire „Guerre aux palais, paix aux chaumières“ en „Guerre aux chômeurs, paix aux riches“. Quant à Jean-Claude Reding, le président de l’OGBL, il a consacré l’éditorial du dernier numéro de l'“Aktuell“, le bulletin syndical, à cette loi, s’interrogeant au passage si la politique de l’emploi se faisait „pour ou contre la jeunesse?“.
Fallait pas être jeune
Retour en arrière. Le 13 octobre 2005, le gouvernement déposait le projet de loi 5501, portant sur quatre points, dont le dernier sur „diverses mesures en faveur de l’emploi des jeunes“ (woxx nø859). Ce point prévoyait le remplacement du contrat auxiliaire temporaire (CAT) par deux nouveaux types de contrats destinés aux jeunes: le contrat d’initiation à l’emploi (CIE) destiné au secteur privé et le contrat d’appui-embauche (CAE) pour le public.
Ces propositions fleuraient déjà bon le cadeau au patronat: les contractants ne toucheraient que 80 % du salaire social minimum (SSM) non qualifié. 60 % de cette rémunération serait reprise par le Fonds pour l’emploi, tandis que l’Etat paierait l’ensemble des charges sociales. Suite aux accords tripartites, la coalition décidait de sortir ce dernier point du projet de loi 5501 pour l’intégrer dans une loi à venir. Avec le projet de loi 5611, c’est désormais chose faite. En allant toutefois encore plus loin.
Une première refonte touche particulièrement les jeunes. Jusqu’à présent, un jeune, après avoir terminé sa scolarité, pouvait prétendre à une indemnité de chômage s’élevant à 70 % du SSM non qualifié six mois après son inscription à l’Administration de l’emploi (Adem). Désormais, après un délai de trois ou six mois, le jeune demandeur d’emploi se verra octroyé un „contrat d’activation“ auprès de l’Adem. A partir de ce moment, le jeune peut être engagé dans trois voies différentes: une mesure pour l’emploi, sous forme de contrat CAE ou CIE, des cours d’orientation et d’initiation professionnelles (COIP) ou bien le service volontaire. Détail croustillant, une activité au sein d’un CAE ou CIE ne donnera plus droit à une indemnité de chômage complet. Désormais, celle-ci ne pourra d’ailleurs être perçue qu’après six mois d’inscription à l’Adem. Le service volontaire par contre n’est aucunement considéré comme une activité professionnelle et n’ouvre aucun droit au chômage.
Travail dévalorisé
La coalition donne également un aperçu de la valeur qu’elle accorde au travail: un jeune inscrit dans des COIP ou dans un service volontaire „peut“ toucher une rémunération. Mais en aucun cas, celle-ci ne sera supérieure aux 70 % du SSM non qualifié. „Une personne qui se trouve déjà dans une situation non enviable sera donc d’avantage pénalisée“, estime la CEPL. La philosophie de la loi se retrouve en effet dans le terme „activation“, qui sous-entend que ce serait le déficit de motivation présumé des jeunes pour trouver un emploi qui serait le problème prinicipal. „Ceci constitue une culpabilisation des chômeurs“, affirme François Bausch.
Mais le projet de loi 5611 ne s’attaque pas qu’aux jeunes chômeurs. Obsédé qu’elle est par des cohortes de demandeurs d’emploi soi-disant prêts à tous les abus, la coalition instaure la proratisation des indemnités de chômage. En clair: actuellement, un chômeur ayant travaillé pendant au moins six mois a automatiquement droit à une année d’inscription à l’Adem avec les indemnités qui vont avec. Désormais, un chômeur ayant perdu son emploi après, par exemple, huit mois d’activité, n’aura droit qu’au même nombre de mois d’indemnités.
Dans son dispositif anti-chômeurs, le gouvernement n’oublie pas non plus les frontaliers. Pour l’instant, tout bénéficiaire d’une indemnité doit être résident au Luxembourg au moment de son inscription à l’Adem. Etant donné qu’un demandeur d’emploi dispose d’un délai de six mois à partir de son licenciement pour s’inscrire dans cette administration, il est possible en théorie qu’un frontalier profite de cette durée pour se domicilier au grand-duché. Tempi passati. Dorénavant, la domiciliation au Luxembourg doit précéder de six mois le licenciement. CSV et LSAP n’en sont plus à une mesquinerie près.
Le dépôt récent de ce projet de loi explique peut-être pourquoi il n’a pas encore trouvé l’écho qu’il mérite dans une opinion publique occupée à débattre de sous-sujets comme la quincaillerie monarchique ou la loi anti-tabac. Pourtant, la mobilisation est doucement en marche. Si déi Lénk appelle à un piquet de protestation le mardi prochain devant la Chambre des députés, le syndicat OGBL planche sur une coalition anti-5611. Les Verts sont également opposés à cette loi, tant au fond qu’à la forme. Et l’Union nationale des étudiant-e-s du Luxembourg (UNEL) compte ouvrir un front commun avec d’autres organisations de jeunesse. Contacté par le woxx, Jean-Paul Espen, président des Jeunesses socialistes (JSL) affirme que son organisation a déjà pris acte de la loi. Il préfère toutefois réserver tout commentaire jusqu’après consultation du bureau national de l’organisation. Quoi qu’il en soit, ils n’ont pas intérêt à trop trainer. Car la loi 5611 fait partie de ces textes législatifs qui ont tendance à accélérer considérablement la machine parlementaire.