CARICATURES: Bête et méchant ?

Les caricatures de Charlie Hebdo ont finalement fait couler plus d’encre que de sang et c’est tant mieux. Mais la liberté absolue de s’exprimer ne doit pas nous exonérer de réfléchir.

La véritable subversion n’est pas un art facile : elle vise le pouvoir, le vrai. Par conséquent, elle s’attaque à un ennemi qui dispose de moyens pour vous nuire. C’est un match de boxe inégal, celui du poids plume qui décoche un crochet au champion poids lourd. Mais ce dernier ne tardera pas à riposter en terrassant le petit outrecuidant d’un uppercut foudroyant. KO. La beauté du geste aura été douloureuse mais le courage du faible restera dans les annales. C’est le combat que mena Hara Kiri, l’ancêtre de Charlie Hebdo, à l’époque où il se moqua de la mort du général de Gaulle en pleine France gaulliste. Il en paya le prix : il fut interdit mais ressuscita une semaine plus tard sous le nom qu’on lui connaît encore.

A nos yeux, la question de savoir si Charlie Hebdo version 21e siècle (ou quelconque autre organe de presse ou individu) aurait le droit ou non de caricaturer quoi que ce soit ne se pose même pas. Evidemment qu’ils en ont le droit. Mais ce droit sacré à l’expression, est équivalent au droit tout aussi sacré de critiquer, au cas par cas, l’usage qu’il en est fait, sans pour autant passer pour un censeur.

Concernant le cas précis des caricatures de Charlie, la gauche se montre divisée. Il y a malaise et il ne faudrait pas en négliger les causes. L’on pourrait évidemment clore le débat de manière lapidaire : la caricature peut tout, surtout si elle s’attaque aux religions, point à la ligne. Et celles et ceux qui s’interrogent seraient des arriéré-e-s, voire, dans le pire des cas, des « anti-impérialistes » primaires, soupçonnés d’alliances malsaines avec des secteurs réactionnaires du « Tiers-Monde » (qui existent, mais, comme les poissons volants, ne constituent pas la majorité du genre).

S’il n’est pas étonnant de voir une ultra-minorité d’illuminés s’agiter devant des caméras avides de sensations, d’autres croyants ou pas, musulmans ou non musulmans, n’ont pas trouvé les caricatures « drôles » et encore moins courageuses (à l’instar de témoignages de journalistes occidentaux installés non pas à Paris, mais à Tunis ou Alger, « sur le terrain »). Non pas parce qu’elles caricaturent une foi que chaque croyant interprète à sa manière, car l’Islam et l’interprétation du Coran ou des hadiths est extraordinairement hétéroclite. Selon les ressentis, ces caricatures peuvent se targuer d’attaquer une religion, l’Islam. C’est une grille de lecture possible. L’on peut l’entendre différemment : ces caricatures humilient (certainement de manière involontaire), au-delà d’une religion, toute une communauté de personnes, y compris celles qui ne croient pas. Et cela dépend évidemment des ressentis de chacun. On a le droit de s’en moquer.

Mais il n’est pas inutile d’analyser le débat dans un contexte plus large. Des personnes se sentant liées au monde musulman ou de culture musulmane, descendantes ou originaires de pays d’Afrique du Nord ou du Proche-Orient, voire d’Asie, ont également intégré d’autres « Lumières » occidentales, dont les Européens pensent trop souvent et à tort être les dépositaires uniques : à coup de colonisation brutale il y a quelques décennies de cela – ou encore de nos jours en Palestine – ou de bombardements militaires de nos jours. C’est aussi cela, l’Occident. Sans parler des sous-entendus permanents que de nombreux citoyens aux « origines » arabes ou « musulmanes » doivent entendre régulièrement. Ce sont ces grandes tensions géopolitiques dont découlent ces petites tensions quotidiennes qui rendent l’interprétation de ces caricatures plus complexes. L’on peut s’en moquer. L’on peut également faire, par humanisme, un petit effort d’empathie et se mettre deux secondes dans la peau de l’autre.

Il serait malhonnête de prétendre que « Charlie » ne s’attaque qu’à l’Islam. Le pape, les curés et les rabbins en prennent également pour leur grade. Mais soyons honnêtes : s’attaquer aux catholiques dans un pays qui l’est majoritairement et de la part de dessinateurs dont du moins les ancêtres devaient l’être, ne revient pas à s’en prendre à une partie de la population, qui, de manière générale, est encore exposée aux discriminations sociales et ethniques aussi subtiles soient-elles. Car pour l’instant, les musulmans vivant dans ce grand ring de boxe que risque de devenir l’Europe, sont socialement et politiquement inscrits dans la catégorie poids plume.


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