Dans l’intérêt de la liberté, faut-il interdire le port du foulard ? Doit-on traiter les conventions vestimentaires religieuses comme d’autres conventions ?
Au moment même où le nouveau gouvernement s’apprête à attaquer le grand projet de la séparation de l’Eglise catholique et de l’Etat, le comité des professeurs du Lycée du Nord a fait circuler une lettre demandant d’interdire le port du foulard à l’école, et en particulier à deux jeunes filles musulmanes. En apparence, la cause est entendue : on se bat contre les curés de toute obédience et on libère le Luxembourg de toute forme d’oppression religieuse.
Et effectivement, l’islam, comme d’autres religions, impose des contraintes à ses adeptes. C’est particulièrement problématique quand cela s’applique à des enfants sur base de la croyance de leurs parents. Mais personne ne semble avoir demandé aux jeunes filles si on les forçait ou non de porter le foulard – après tout, d’autres lycéens choisissent des attitudes rigoristes telles que le le véganisme, parfois en imitant, parfois en défiant le modèle des parents.
Faut-il combattre le foulard parce qu’il représente une exception consentie aux religions ? Il est vrai que sur les photos de passeport, on a le droit de porter un couvre-chef si et seulement si on a un motif religieux pour le faire. D’un autre côté, les traitements défavorables pour raisons religieuses existent aussi : en France, l’interdiction de manifester ostensiblement une appartenance religieuse à l’école crée une contrainte vestimentaire aux dépens des seuls croyants. Qu’on puisse porter d’autres couvre-chefs, mais pas le foulard, pose un problème d’égalité de traitement.
Par ailleurs, toute règle basée sur un critère religieux est délicate à appliquer : qui peut vraiment savoir si tel foulard n’est qu’un accessoire de mode plutôt qu’un signe religieux – ce qui permettrait de le porter à l’école, mais obligerait à l’enlever au bureau des passeports ! Et que dire de l’idée, avancée par les critiques du foulard, et souvent accompagnée de commentaires xénophobes, que le fait d’apparaître la tête découverte serait une habitude naturelle, occidentale, ou, au choix, chrétienne ?
En vérité, les codes vestimentaires sont des conventions sociales, renégociables à tout instant, mais exerçant une certaine violence contre ceux qui ne s’y soumettent pas. Loin de toute considération religieuse, dans certaines circonstances on impose le port de la jupe ou le port de la cravate. Et, selon d’autres circonstances, on accepte ou on rejette des tenues accentuant les caractères sexuels primaires, le dénudement des seins, voire la nudité intégrale en public.
Le combat contre les foulards rend possible une alliance bizarre entre les bouffeurs de curé… et les curés.
Reste l’endoctrinement ou l’oppression des enfants, notamment des filles. Mais bannir les foulards ne bannira pas la pression malsaine exercée par une partie des parents musulmans. Et encore moins les multiples contraintes grevant le développement des jeunes, exercées par des parents de tout bord. L’idée de base d’une société ouverte est que des comportements perçus comme problématiques comme ces contraintes ne sont pas combattus par des super-contraintes étatiques, mais plutôt par la confrontation d’idées au sein de la société. Ainsi les prescriptions chrétiennes jadis omniprésentes – vestimentaires et autres – ont été balayées par la sécularisation, pas par la répression. Et la perspective d’un cours unique d’éducation aux valeurs semble bien plus prometteuse pour combattre tout fanatisme religieux que l’interdiction – toute théorique – de l’endoctrinement religieux.
Notons que le comité des professeurs de Wiltz ne semble pas faire grand cas de l’abolition des privilèges de l’Eglise catholique au sein de l’école publique. Or, le combat contre les foulards des élèves musulmanes rend possible une alliance bizarre entre les bouffeurs de curé… et les curés. Nombre de conservateurs catholiques voient dans le foulard non pas un outil d’oppression des jeunes filles, mais l’étendard d’un islam menaçant d’envahir les terres chrétiennes. En fin de compte, les laïques risquent de livrer un combat contre la liberté, mais au service des curés.