POLITIQUES FAMILIALES: Tout pour les mères ?

L’émancipation passe par les crèches et le congé parental. Au-delà de ce consensus se posent des questions délicates concernant l’articulation de ces politiques avec l’économie et la justice sociale.

La ministre libérale expose ses arguments sous le regard attentif de la coprésidente verte.

« Il ne faut pas essayer de faire des économies quand on réforme les politiques familiales. » La phrase d’Hélène Périvier n’a fait bondir personne lundi soir au Carré Rotondes. L’économiste française avait été invitée par la « Gréng Stëftung » pour une conférence-débat intitulée « Les politiques familiales, un investissement dans l’égalité des chances ? ». Pour Périvier, ce n’est pas l’économie de l’Etat social qu’il faut réformer, mais son orientation, afin que ses mécanismes correspondent aux modes de vie et de travail du 21e plutôt que du 19e siècle.

La ministre de la Famille Corinne Cahen s’est déclarée entièrement d’accord. Effectivement, les changements qu’elle a mis en chantier réduiront certaines dépenses, surtout celles liées aux différentes allocations ; mais le budget des prestations en nature, notamment des chèques-service, continuera à augmenter fortement. Cela va dans le sens de ce que préconise l’économiste française : les politiques familiales, plutôt que de favoriser le modèle de « M. Gagnepain et Mme Aufoyer » à coups d’allocations, devraient être ciblées sur les individus. Pour elle, il s’agit d’une politique au service de l’émancipation, donnant les meilleures chances de départ à chacune et chacun. Et permettant notamment, à travers l’accès aux crèches, de choisir librement d’avoir des enfants et de continuer à travailler.

Contre l’économisme

Contrairement au panel, sans surprise, le public n’a pas été unanime sur ce point. « Un enfant a besoin de s’enraciner, et c’est à la maison, avec les parents, que cela doit se faire », a-t-on ainsi entendu. Face à cette demande de rétablissement de l’allocation d’éducation, le panel a vanté les bienfaits des crèches. Ainsi Sam Tanson, coprésidente des Verts, a-t-elle rappelé l’importance de l’encouragement précoce (« Frühförderung ») pour les enfants fragilisés et le coût des mesures nécessaires pour réparer les dégâts subis avant la scolarisation : financer des crèches apporterait ainsi un retour sur investissement d’un facteur cinq.

L’argument n’était pas du goût d’Hélène Périvier. Elle n’a pas contesté le fait que l’intégration dans les crèches a un impact positif sur le coût des politiques d’éducation, mais a estimé qu’il ne fallait pas raisonner en termes de performance économique. « Ce type d’argument mange tout le débat », a-t-elle regretté. Pour elle, mettre en place des crèches se justifie d’abord comme un moyen d’émancipation des enfants.

Autre chantier de réforme vivement débattu, le congé parental. Puisque trop peu de parents l’utilisent et que les pères semblent dissuadés par son impact sur leur revenu et leur carrière, l’idée de flexibiliser ses conditions d’utilisation a fait consensus au sein du panel. A noter que personne ne s’est interrogé sur la disparition de l’effet « on partage les tâches domestiques » au cas où un budget d’heures de congé parental serait étalé sur une longue période.

Donner à ceux qui ont

Périvier a plaidé pour que le congé parental soit traité dans une logique assurantielle : financé par des cotisations liées au revenu et payé non pas sous forme d’un montant forfaitaire, mais d’un salaire de remplacement. En d’autres termes, un congé payé exceptionnel, plus court qu’actuellement, mais mieux rémunéré – du moins pour les salaires moyens. Robert Urbé, porte-parole de Caritas, s’est montré réservé : « Dans ce cas, les mères en situation précaire sont encore pénalisées. » Mais l’économiste française a maintenu sa proposition, estimant que le problème de la pauvreté constituait un autre débat.

Les discours vantant les mérites de la socialisation dans les crèches, le win-win du patron compréhensif envers ses salariés et l’amélioration nécessaire des conditions de travail sont bien beaux. La réalité est différente – plusieurs interventions du public l’ont souligné – avec des crèches parfois pourries et des patrons souvent abusifs. Si les réformes visant à l’émancipation conduisent à ce que les salariés, surtout les plus fragiles, soient perdants, elles jetteront le discrédit sur le concept d’émancipation même.


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