La semaine prochaine, la compagnie Jucam présentera sa „Procession du nombril du monde“.
Vue sur les méthodes peu orthodoxes de cette compagnie.
Les personnes présentes dans la cuisine n’ont pas l’air d’appartenir au Luxembourg qui se lève tôt. Il est 9h30 du matin et Fränz Hausemer, une des têtes derrière Jucam tourne autour de son muesli au yaourt. La maison dans laquelle on se trouve est bien connue par celles et ceux qui s’intéressent un peu à la vie culturelle locale, pour avoir hébergé en 2004 les journées d’art „Hoferlin 42“ – qui ont été le coup d’envoi pour le collectif LX5 et pour beaucoup d’autres la preuve sur l’exemple que la création était encore vivante dans leur pays. Même le fraîchement nommé coordinateur général pour l’année culturelle 2007, Robert Garcia, s’y était aventuré à l’époque pour une soirée-débat.
Maintenant, c’est Hausemer qui est assis au même endroit que Garcia à l’époque. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis, 2007 est là et entame bientôt son deuxième semestre, tandis qu’il ne reste à Jucam qu’une dizaine de jours avant la première de leur spectacle – qui se déroule bien sûr avec le financement et la bénédiction du cerf bleu. La „procession du nombril du monde“ n’est pas à forcément parler une pièce de théâtre traditionnel, ni même de rue. „C’est une procession à l’image d’un fleuve. Au départ – à la source – seront 13 acteurs professionnels qui seront rejoints au fur et à mesure par une cinquantaine d’étudiant-e-s en art du spectacle. Et puis, après quelques stations, tout cela se volatilisera à nouveau. Comme un fleuve qui se jette à la mer“, explique Renata Neskovska, la deuxième initiatrice du projet, qui vient de descendre les escaliers pour se laisser tomber dans le gros canapé en cuir qui trône dans le salon. La procession aura lieu dans trois villes: Metz, Dudelange et Luxembourg.
„Nous ne voulons pas en faire un event. Car il y en a beaucoup déjà dans cette année culturelle, ce qui ne veut pas dire non plus qu’ils sont tous mauvais. Mais, pour nous, il s’agit surtout de ne pas en mettre plein la gueule aux gens qui regardent notre procession“, explique Hausemer. Migration et rites, mythes et cultes, sont les deux axes thématiques autour desquels le projet s’articule. D’après les créateurs, l’idée n’était pas de faire un projet sur les liens entre migration et religion, mais de ritualiser ce processus. Comme le résume Hausemer: „une migration, ça peut être tellement de choses. Cela ne se limite pas à quelqu’un qui quitte son pays pour aller vivre dans un autre“. Il y aura donc pleins de petites choses à voir, avec des moments de grande intensité dramatique lors des différentes stations de la procession. Une autre difficulté que Jucam s’est imposé – dans la perspective de la surmonter – est la création collective. Entendez: produire du théâtre sans avoir recours à un metteur en scène. Et sans recourir non plus à la hierarchie traditionnelle qui régit la vie derrière les coulisses.
D’une durée totale de quatre heures et demie, ce n’est pas à forcément parler une partie de plaisir, ni pour les acteurs, ni pour les spectateurs. Surtout que la procession doit être adapté à chaque ville, et ne serait-ce que pour des raisons de taille. „Nous devons même adapter notre façon de marcher à la topographie des villes“.
Mais derrière cette idée de ramener l’art dans les rues et de proposer ainsi un spectacle de rue à la portée de tous les passants et non pas seulement de celles et ceux qui de toute façon sont des habitué-e-s de la consommation culturelle se cache plus. „Notre idée, c’était surtout d’organiser une sorte de formation continue pour gens du théâtre,“ raconte Hausemer. Ainsi, Jucam a organisé ce qu’ils appellent un „laboratoire“ en matière de théâtre. Pour ce faire, cinq weekends de travail avec des acteurs professionnels provenant de quatre pays différents: Luxembourg, Belgique, France et Allemagne. „Nous avons surtout voulu remettre en question nos méthodes de travail, en les confrontant à celles des autres“, explique Neskovska. Les cinq weekends ont donné lieu à autant de mini-projets qui oscillent chacun autour d’un thème comme le corps, la langue ou encore la polyphonie. Ensuite ont été organisés deux séminaires avec des pédagogues professionnels en matière de théâtre. Le metteur en scène Patrick Pezin, qui fait aussi dans la pédagogie de théâtre et qui a crée la revue Bouffonneries, ainsi qu’Anna Desreaux, qui enseigne à la Manufacture Chanson à Paris ont bien voulu partager leur savoir-faire aux cours de ces séminaires qui étaient aussi ouverts aux étudiant-e-s des universités de Nancy 2 et Paul Verlaine de Metz.
Pourtant, la „Procession du nombril du monde“ n’est pas à proprement parler le résultat de toutes ces recherches. „C’est la seule partie visible du projet. Mais ce n’est en aucune façon sa finalité“, raconte Hausemer. Il fallait bien quelque chose qui puisse être montré au public, et ne serait-ce que pour satisfaire ceux qui ont investis dans le projet. Car l’idée derrière le projet est autre et s’inscrit surtout dans la durée. „Il n’y a pas de vrai moyen pour continuer à se former en matière de théâtre. Or, on ne peut considérer que tout détenteur d’un diplôme en arts du spectacle soit automatiquement un comédien abouti, et surtout pas jusqu’à la fin de ses jours“, déplore Neskovska. Et c’est pour cela que les deux espèrent faire durer les échanges qu’ils viennent de créer. Car les liens dans les réseaux, c’est un peu comme les toiles d’araignées: très belles, mais aussi très fragiles. Ou, avec les mots de Hausemer: „C’est tellement plus facile de travailler avec des gens qu’on connaît depuis presque toujours et qui ne mettent pas en question certaines bases de travail, que de se confronter chaque jour à son propre questionnement et à celui des autres“. „Se rencontrer est une chose, créer quelque chose ensemble en est une autre“, complète Neskovska.
Reprendre ce défi au jour le jour et même l’intégrer dans les pratiques courantes du spectacle, est le rêve de Jucam. Car si la jeune compagnie a été porteuse du projet, c’est surtout dans la visée de poursuivre ce travail. „On a déposé les germes, mais on tient aussi l’arrosoir à la main“, rigole Hausemer.
„La procession du nombril du monde“ aura lieu à Luxembourg
le 1er juin, le 3 juin à Dudelange
et le 9 juin à Metz.
Pour plus d’infos: www.jucam.eu