Ikea est une des marques les plus connues dans le monde. Mais alors que Macdo ou Nike sont régulièrement la cible de critiques, le gentil géant suédois semble plus à l’abri. Pourquoi donc ?
Si Ikea, c’est le rêve du consommateur moyen, c’est en même temps celui d’étudiant-e-s en sociologie, voire en marketing, car il leur livre d’excellents sujets pour leurs thèses. Qui peut échapper à l’attrait du catalogue Ikea – cet ouvrage qui hypnotise régulièrement des millions de gens ? Et qui en plus dépasse la diffusion de la Bible…
De même, tout comme le culte catholique, le géant du meuble suédois a réussi à s’introduire dans notre quotidien de façon à ce que nous ne nous posions pas trop de questions à son égard.
Quand on a besoin d’un nouveau petit meuble ou d’une nouvelle assiette, le passage dans l’Ikea le plus proche est à l’ordre du jour. C’est pas cher, en général ce n’est pas laid et surtout on y trouve tellement d’autres petits trucs pratiques qu’on ne peut pas se passer de rêver un petit peu. Même si d’aucun-e-s peuvent avoir un choc en parcourant les rayons et les showrooms, pour la bonne et simple raison qu’ils reconnaissent une bonne partie de l’ameublement. Genre : « Tiens ce serait pas la lampe que j’avais vue chez Sylvie ? Et la bibliothèque, c’est pas la même que chez mes beaux-parents ? »
La grande réussite d’Ikea c’est aussi d’avoir uniformisé les salons, cuisines et chambres de tous les pays industrialisés. Pourtant, tout a commencé très modestement. L’histoire d’Ikea est plus américaine qu’elle paraît. Tout commence vers 1943 quand le jeune Ingvar Kamprad fonde une petite boutique, dans laquelle il vend entre autres des stylos, des portefeuilles et d’autres objets de la vie quotidienne. Âgé de 17 ans à l’époque, Kamprad baptise son entreprise Ikea – un nom tiré de ses propres initiales, combiné au nom de la ferme de ses parents. Ce n’est qu’en 1947 qu’il se met aux meubles. La première particularité des meubles de la maison Ikea est qu’ils sont uniquement envoyés sur commande. Ainsi le jeune Kamprad réussit à garder des coûts bas. En 1951, Ikea innove et publie son premier catalogue. À partir de ce moment-là, l’entreprise se concentre exclusivement sur la vente de mobilier – une innovation qu’elle a délaissée depuis, car en 2007, le chiffre d’affaires d’Ikea provient majoritairement de la vente d’accessoires, avec les bougies de thé en tête.
Le début de l’expansion mondiale date de 1955 quand Ikea commença à vendre des meubles exclusifs créés pour la firme. A partir de 1956, les meubles étaient envoyés en pièces détachées, le do-it-yourself était né… pour des raisons de coût surtout. La première filiale Ikea ouvrit ses portes en 1958 en Suède. Depuis, le modèle Ikea – à l’exception des modèles dans le catalogue – n’a pas changé beaucoup. Dans les années 60 l’industrie suédoise tenta un boycott en menaçant les fournisseurs d’Ikea, car elle perdait sa clientèle au profit du nouveau venu pratiquant des prix hors concurrence. Réponse de Kamprad : au beau milieu de la guerre froide il se mit à produire ses meubles en Pologne, ce qui lui permit de baisser encore ses prix. Depuis plus personne ni rien – même pas un scandale qui mêlait Kamprad à des groupements nazis (il admit tout de même avoir fait des « bêtises ») – n’a pu stopper l’ascension d’Ikea dans le monde.
Le catalogue Ikea s’imprime plus que la Bible
En 2007, la stratégie économique d’Ikea est surtout de ne pas se faire bouffer par d’autres multinationales tout en gardant son rythme d’expansion continuelle. Et il faut admettre que sur ce plan-là, le vieux Kamprad – car c’est toujours lui à la tête – ne s’en sort pas si mal. En transférant Ikea à une fondation nommée « Stichting
Ingka Foundation » sise aux Pays-Bas, non seulement il se met à l’abri des taxes suédoises, mais échappe aussi aux risques d’une OPA éventuelle. Qui se cache derrière la fondation ? Nul ne sait. La seule chose connue est qu’elle détient la Ingka Holding qui elle regroupe toutes les entreprises Ikea. Mais surtout, il y a Inter Ikea Systems, une firme belge située à Waterloo, qui détient le concept et la marque Ikea. Quant à savoir qui la dirige, on peut chercher longtemps sans trouver. Toujours est-il que la famille Kamprad tient toujours les rènes du système … De plus Ikea ne paie pas beaucoup de taxes au pays des tulipes et du cannabis. Tout simplement parce que la fondation est reconnue œuvrer pour le « bien commun ». Avec une valeur de 36 milliards d’euros – , elle est sûrement une des mieux dotées dans son genre. Autre avantage : les devoirs de transparence d’une telle fondation sont minces ou quasiment inexistantes.
Et nous voilà plongés dans le cœur du problème. Car d’un côté, Ikea arbore une image d’entreprise sympathique, portée sur le bien-être de ses employé-e-s, qui choisit ses fournisseurs selon des critères éthiques et en plus soucieuse de l’environnement. De l’autre – on l’a vu – elle se comporte comme un géant paranoïaque, prêt à tout pour garder son monopole. Entre les deux se trouve le consommateur lambda. Celui-ci, mis devant le choix d’acheter un meuble bon marché ou de questionner sa conscience avant de passer à la caisse a généralement fait son choix assez rapidement : c’est le meuble qui gagne. Et puis, qu’est-ce que lui peut changer à la mondialisation ? Et puis, un Ikea dans la région, cela crée des emplois, non ?
Si cela ne suffit pas, Ikea propose l’« Iway ». Recette typique pour amadouer les sceptiques et se procurer une image politiquement correcte, « Iway » est un code de conduite éthique qu’Ikea impose à ses fournisseurs. …. Qui, d’ailleurs sont rarement suédois comme le laisse supposer le logo « Ikea of Sweden » sur les emballages, mais surtout chinois et polonais. « Iway » porte avant tout sur la responsabilité sociale et environnementale de la multinationale : bannissement du travail d’enfants, conditions de travail saines, pauses garanties. Si on croyait ce qu’on lit, on devrait conclure qu’Ikea, c’est vraiment la meilleure entreprise du monde.
Ikea : une fondation de bien commun…
Mais qui se targue d’être irréprochable, doit aussi pouvoir vivre avec des contrôleurs indépendants. C’est exactement là où le bât blesse. Certes Ikea réalise des audits chez ses fournisseurs, mais soit ils sont faits par du personnel Ikea – qui s’intéresse avant tout à la qualité des produits – soit par des tiers qui ne rendent des comptes qu’à la direction d’Ikea. Ne croyant ni au Père Noël, ni à l’« Iway » , plusieurs personnes issues de la section belge de l’ONG Oxfam-Magasins du Monde, parmi lesquelles son secrétaire général Denis Lambert, se sont intéressés de près à ce qui se passe chez les fournisseurs d’Ikea en Inde. Ils y ont trouvé des ouvrier-ière-s qui travaillent dans des conditions certes acceptables – accès à l’eau potable, masques de protection et même pauses de thé garanties – mais qui néanmoins vivent à un niveau proche de l’extrême pauvreté. Il est vrai qu’il n’est écrit nulle part dans l’« Iway » que les sous-traitants d’Ikea devaient payer leurs employé-e-s plus que le revenu minimum du pays. Ainsi, celles et ceux qui tissent les nappes Ikea ne savent souvent même pas à quoi ressemblera le produit fini. Et une fois sortie de leurs mains, ils ne pourront pas se l’acheter – à moins de vivre un mois d’amour et d’eau fraîche. Souvent, les familles indiennes qui vivent du travail pour Ikea ne mangent de la viande que le dimanche et ne peuvent même pas s’offrir le gaz pour la préparer. Autre problème : les syndicats. Si le code éthique Ikea ne les interdit pas, ce n’est pas forcément pour les encourager. En tout cas, les chercheurs d’Oxfam n’ont pas trouvé la moindre structure syndicale sur place.
Les recherches de Denis Lambert et de ses co-auteurs Olivier Bailly et Jean-Marc Caudron ont été publiées dans un livre intitulé « Ikea, un modèle à démonter », édité en 2006. Depuis, ils attendent des réponses de la multinationale. Ce qui s’avère difficile, car les employé-e-s d’Ikea en Belgique n’ont pas le droit de parler à la presse…
« Ikea, un modèle à démonter », sera le sujet d’une table-ronde à la Fête Faîtes de la Résistance, ce samedi à 13 heures à Aubange (B).