COURS DE CHINOIS: « Faire aimer chaque caractère, la langue, la culture »

De plus en plus de gens s’intéressent à apprendre une des langues réputées les plus difficiles, le chinois. Reportage sur les premiers pas des participant-e-s à un cours d’été.

Lin Lichuan en train d’expliquer l’origine du caractère « ai », aimer.

« Shang, zhong, xia. » « Shang, zhong, xia ! », répète la classe en choeur – la petite salle du bâtiment principal de l’université résonne des voix d’une douzaine d’élèves. Quand on apprend le chinois, il faut apprendre à prononcer juste dès le début. Certes, on entend encore quelques « chia », alors que le « xia » est plutôt un « hsia », langue collée aux incisives inférieures. Mais l’impression générale est bonne en cette treizième et dernière leçon du cours intensif d’initiation au chinois organisé par l’Association culturelle chinoise (ACCL). Les caractères que l’enseignante, Lin Lichuan, inscrit sur le tableau blanc ne sont pas faciles à reconnaître à cause des rayons du soleil couchant qui entrent dans la salle. Néanmoins, une vingtaine de paires d’yeux suivent attentivement son dessin, puis tentent de le recopier.

Pour expliquer le caractère « cent », elle dessine des ronds avec des trous carrés dedans, puis sourit : « Ceci ne sont pas des gâteaux, mais des pièces de monnaie chinoise. »

Tout à l’heure, en arrivant, Lin a fait le tour de la classe, distribuant des bonbons, des bricks de jus et des photocopies : « Ça, c’est pour vous. » Pas très grande, un peu frêle, elle rayonne de vitalité et quand elle bouge, ses boucles d’oreilles sautillent sur le fond de ses cheveus noirs mi-courts. Quand elle donne des explications, elle parle avec les mains, les bras, fait de grands gestes, replie les bras vers elle. Le visage concentré, elle dessine des ronds avec des trous carrés dedans. Puis sourit de toutes ses dents : « Ceci ne sont pas des gâteaux, mais des pièces de monnaie chinoise. » C’est ainsi qu’elle introduit le caracère « bai » représentant le chiffre cent. Un caractère parmi les dizaines de milliers de « lettres » qui constituent l’écriture chinoise.

Habituellement, les cours de chinois organisés par l’ACCL ont lieu de septembre à juin, et s’échelonnent depuis la classe de débutants jusqu’à la cinquième année. Ceci est un cours d’initiation, deux soirées par semaine, mais certains élèves plus avancés ont également décidé d’y assister, quelque vingt inscriptions en tout. Le groupe apparaît assez mélangé, comprenant surtout des personnes d’âge moyen et peu de femmes.

Parce que le chinois est réputé difficile, Lin cherche à motiver ses élèves : lors de la remise des diplômes à la fin de la leçon elle multipliera les « gongxi, félicitations ! », serrant les mains des élèves et distribuant des enveloppes rouges aux meilleurs. Motiver, oui, mais sans concession sur le contenu. Car Lin ne s’en cache pas, elle est perfectionniste : « Parfois, sur un sujet précis, je prépare pendant trois heures une feuille que je vous présente en cinq minutes. Mon but, c’est de vous faire aimer chaque caractère, de vous faire aimer la langue et la culture chinoise. »

Retour aux exercices de prononciation. Pour les dialogues, la classe est divisée en deux. La première réplique, intonée par la moitié gauche, ne satisfait pas l’enseignante. « Plus fort ! Vous avez déjà mangé, non ? » plaisante-t-elle. La moitié gauche répète, celle de droite répond. La prononciation est assez juste et les élèves veillent à l’intonation de la phrase. Dès la première leçon, Lin avait insisté sur l’importance de bien prononcer : « Sinon, les Chinois ne vous comprendront pas. » En effet, en plus de quelques consonnes inhabituelles pour les Occidentaux, la difficulté vient de ce que chaque syllabe peut se prononcer de cinq manières différentes, les cinq tons. La première phrase qu’elle avait présentée était « Wo ai ni, je t’aime ». « Attention, `wo‘, ce n’est pas un `ouooh ?‘ montant, mais un `ouo-oh‘, ça descend, puis ça remonte. Et le `ai‘, c’est un `aïe !‘, ton descendant. » Pour chaque caractère, il faut apprendre le ton correct dès le début. Mal intoné, le « ni » peut vouloir dire « boue » au lieu de « tu ».

Yvonne, qui a déjà fait trois années est la cadette de la classe. Elle a une certaine facilité pour apprendre la prononciation. C’est qu’elle suit l’enseignement secondaire dans la section « musique » – elle a donc l’habitude d’écouter attentivement. Dans la voiture qui nous amène au restaurant pour le repas de fin du cours, nous évoquons le cours de quatrième année : qui s’est incrit, est-ce qu’on gardera le même prof ? C’est Walter, le doyen, qui conduit. En plus de l’expérience d’une langue nouvelle, les cours de chinois font se rencontrer des personnes très différentes et créent des liens d’amitié entre elles.

Malgré les difficultés de communication, Serge, un « habitué » de la Chine, préfère les endroits reculés : « On voit des choses bien plus intéressantes. »

A l’entrée du restaurant, nous sommes acceuillis par la patronne, qui serre la main à chacune et chacun. Son mari a travaillé dans le temps pour Lin Lichuan. « Ni hao ! » dit-elle, et son visage rond sourit quand nous répondons « ni hao » – elle sait qu’elle acceuille des étudiants de chinois. Dans le coin du restaurant où nous sommes assis, il y a une table ronde en bois noir et, sur le mur, une simple calligraphie. Autour de la table, une dizaine de personnes, d’âges et de présentation très différentes, cela va depuis de la tenue de ville jusqu’au short. Pas de problème, puisqu’il y a un centre d’intérêt commun : la langue chinoise.

« Quand vous êtes là-bas, ne croyez pas que vous pourrez vous entretenir avec tout le monde », raconte l’un de ceux qui vont régulièrement en Chine, « en dehors du Nord et des grandes villes beaucoup de gens ne parlent pas mandarin. » Serge, un autre « habitué », estime qu’on peut quand-même se débrouiller : « Je préfère même les endroits reculés, on voit des choses bien plus intéressantes. »

Pendant que les plats tournent sur la plaque mobile au centre de la table, la conversation tourne autour des motivations de chacune et de chacun de vouloir apprendre cette langue. Pour certains, la raison est évidente : une mission professionnelle là-bas pour l’un, une partenaire chinoise pour l’autre… et Walter a « adopté » une petite-fille chinoise, ou plutôt a été adopté par elle et sa famille. Pour tous les étudiants, l’idée de pouvoir plus facilement voyager dans l’Empire du Milieu joue un rôle important. Ce qui suppose un intérêt général pour le pays, sa culture et ses habitants.

Yves est adepte de la sagesse de Sun Zi  et plus généralement de la culture chinoise : « Les week-ends, quand je ne tra-vaillais pas, j’allais dans les musées ». C’est sa collègue chinoise qui a attisé son intérêt pour la langue.

« Je suis un adepte de la sagesse de Sun Zi », m’avait confié Yves après la première leçon, dans la cour du bâtiment central de l’université. Cheveux blonds en brosse, regard assuré, habillé d’un polo, il venait aux cours après son travail, mais n’a pas pu assister aux dernières leçons. Il habite à quelque 200 kilomètres, en Flandre et travaille au Luxembourg. « Pour mon boulot, j’ai fait quelques séjours de plusieurs semaines en Chine », raconte-t-il. La culture millénaire chinoise lui inspire du respect : « Les week-ends, j’allais dans les musées. » Sa collègue chinoise a attisé son intérêt pour la langue : « Elle m’a expliqué qu’on pouvait utiliser un même mot comme verbe ou nom, qu’il n’y avait ni conjugaisons, ni passé et présent. La grammaire est plus efficace que la nôtre, donc plus évoluée. » Il avait été impressionné par la pleine page de caractères distribuée lors de la première leçon : « Cela semble très difficile à retenir, j’apprécie l’approche du cours de combiner lecture, écriture et apprentissage des mots. »

Pour Serge aussi, interrogé lors de la dernière leçon, c’était le premier contact « scolaire » avec le chinois. « Moins difficile que je ne pensais, mais bien prononcer et former des phrases plus longues reste un défi », évalue-t-il son expérience. Cheveux bruns coupés courts, habillé d’une chemise à carreaux et d’un jeans, il travaille dans l’industrie – une société luxembourgeoise active en Chine. « Ces six dernières années, j’y ai passé pas mal de mois. » Avant le cours, il ne savait rien des règles de prononciation et avait tout appris sur le tas. « De huit heures à dix-sept heures, il y avait les interprètes, mais après … » Il sourit malicieusement à travers les verres de ses lunettes : « J’avais appris par moi-même l’essentiel, quelques expressions techniques et de quoi commander un plat de nouilles. » Le dépaysement dont se plaignent tant d’expatriés ne l’a pas effarouché, bien au contraire : « Je me passionne pour ce pays. »

La curiosité pour tout ce qui concerne la Chine est un phénomène relativement récent en Europe : jusqu’il y a quelques années, l’image du pays dans l’opinion publique se résumait au maoïsme et aux restaurants, éventuellement complétée par quelques clichés sur les objets d’art anciens et les produits de consommation « Made in China ». Quand Lin Lichuan est arrivée avec son mari au Luxembourg en 1985, ils ont ouvert le restaurant Royal Chine, et elle a commencé par donner des cours pour les enfants chinois. L’ACCL, dont elle est présidente a été fondée en 1997, n’a longtemps touché qu’un cercle d’initiés, mais l’intérêt notamment pour les cours de langue a augmenté au fil des ans. A l’approche des Jeux olympiques de 2008, cet intérêt a connu un pic avec plus de 50 élèves inscrits en première année. Cet été, l’association organise pour la première fois un cours d’été et cela a été un franc succès.

La sortie au restaurant n’est pas seulement le couronnement de six semaines d’efforts, mais aussi l’occasion d’approfondir la connaissance de la culture chinoise. Et les plaisirs de la table ne sont pas le moindre élément de cette culture : « Ni chile ma – As tu déjà mangé ? » est une des salutations courantes entre amis. Quand les premiers plats arrivent, Lin indique : « Poulet, jirou, boeuf, niurou. » Elle s’entretient avec la patronne, et les élèves tentent de suivre la conversation. « On ne comprend pas le sens, seulement quelques mots », constate l’une des participantes. « Voilà les `sucai‘, les plats végétariens », explique Lin. Elle-même et deux élèves ne mangent pas de viande, mais comme les plats tournent, tout le monde peut goûter aux `sucai‘. Le cuisinier a réussi à donner l’apparence et la saveur de la viande à des produits à base de soja. « Certains végétariens préfèrent cela », commente Lin, « moi-même, j’apprécie la façon traditionnelle chinoise, qui préserve la saveur naturelle. »

« Au début, c’est comme si l’on apprenait trois langues à la fois », constate une élève, « avec la pronon-ciation, l’écriture et le voca-bulaire. Heureusement qu’il n’y a pas de grammaire. »

Sur la table, il y en a pour tous les goûts. « Ce boeuf est délicieux, j’aime beaucoup les plats piquants », confie un élève. « Il faut aller au Sichuan », conseille Serge, « c’est la cuisine la plus épicée. » Enfin, tout le monde est « baole », a le ventre bien rempli. La serveuse amène une dernière théière. « Comment dit-on `non merci‘, `bu xiexie‘ ? », demande un élève, avide de pratiquer son chinois. « Non, il faut s’excuser, duibuqi, puis dire qu’on ne veut plus de thé. » C’est dans des situations concrètes que les étudiants de chinois se rendent compte des progrès qu’il leur reste à faire.

« Au début, c’est comme si l’on apprenait trois langues à la fois », constate une élève, « avec la prononciation, l’écriture et le vocabulaire. Heureusement qu’il n’y a pas de grammaire. » L’idée d’absence de grammaire, fortement répandue, est liée au fait que les conjugaisons et déclinaisons, qui rendent difficile l’apprentissage de langues occidentales, n’existent pas en chinois. Par contre, l’ordre des mots dans la phrase est relativement strict et à travers de nombreuses particules grammaticales, le chinois permet d’exprimer bien des nuances qui, dans nos langues, n’ont pas de correspondance directe. « Je ne commence pas le cours pour débutants en expliquant l’usage de la particule `le‘ », m’a exposé Lin. Il s’agit du caractère le plus fréquent du chinois moderne, qui permet notamment d’exprimer, selon sa position dans la phrase, qu’une action est accomplie, ou qu’un changement d’état s’est produit.

Alors que le groupe quitte le restaurant, Lin évoque ses projets : « L’été prochain, nous envisageons d’organiser un voyage à Taiwan. » L’intérêt des élèves est évident, car avec leur prof ils bénéficieront à la fois d’un encadrement linguistique et culturel. Une réédition du cours d’été est également prévue, ainsi qu’une exposition de calligraphies. L’association organise également des concerts et envisage même de proposer … un cours de cuisine chinoise.

Pour Lin Lichuan, qui a géré son restaurant jusqu’à la mi-2009, l’enseignement est la véritable vocation. Elle a suivi une formation d’enseignante à Taiwan, puis étudié la littérature. Elle se considère comme une « ambassadrice de la culture chinoise », et une citoyenne du monde. « La culture chinoise n’est pas réservée aux Chinois, tout comme la française ou l’allemande doit appartenir à tout le monde, pas seulement aux nationaux. La langue chinoise est une porte, par laquelle on passe pour entrer en relation les uns avec les autres. »

L’auteur assiste depuis trois ans aux cours de l’ACCL.


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