Si la metteuse en scène Lone Scherfig a choisi d’adopter les règles immuables du „Dogme“, son film „Italian for Beginners“ n’en est pas moins rempli de fraîcheur et de poésie.
O Sole Mio danois
Quelque part au Danemark, dans une petite ville perdue et si peu intéressante que la caméra ose à peine s’attarder dehors, un prêtre veuf remplace un autre prêtre veuf qui a perdu sa foi. Une coiffeuse passe de son salon à la chambre d’hôpital dans laquelle sa mère se meurt entre deux fugues, une boulangère désespère d’être aussi gauche alors qu’un ex-footballeur, beau gosse, perd son job de barman parce qu’il ne supporte pas l’autorité la vie banale, parfois blafarde dans un trou perdu que quelque rare événement égaie de temps à autre.
Dans ce marasme, Andréas, le jeune prêtre, fait tour à tour connaissance des gens du quartier et l’on en vient à se demander lequel des protagonistes mettra fin à ses jours le premier, tant le climat est sinistre. Le spectateur assiste, un peu mal à l’aise à la déchéance d’une femme sale, aux cheveux gras, au caractère imbibé d’alcool. Karen n’a qu’une obsession, lui laver les cheveux. Normal, elle est coiffeuse. De son côté, Olympia, la boulangère maladroite, se fait constamment houspiller par son père impotent, cloué dans un fauteuil à regarder le tennis féminin à la télévision.
Lone Scherfig, la réalisatrice, filme comme si elle était chez elle, caméra à l’épaule. Le malaise s’agrandit avec cette impression d’avoir déjà vu ce genre d’appartement où les petites misères quotidiennes ont pris le dessus. Ça et là, on est néanmoins sauvé par une petite touche d’humour à laquelle on s’accroche aussi désespérément qu’un noyé à une bouée de sauvetage, encore faut-il être optimiste. C’est précisément à ce moment que Lone Scherfig bifurque de la chronique dramatique à la comédie sentimentale, car hormis leur piètre existence, il est une autre chose que ces gens ont en commun: le cours d’initiation à l’Italien. Véritable rayon de soleil, ce cours rapproche les solitaires, fait battre les c´urs au doux frisson de l’amour. La magie opère enfin. Les larrons, sans devenir joyeux, parviennent à se débarrasser de leur manteau de solitude, s’intéressant à leur prochain, s’autorisant des amourettes et pour les plus audacieux, des aventures carrément brûlantes! L’intrigue devient plus légère mais l’on perçoit enfin, après le ton descriptif du début, la véritable charpente d’un récit aux ramifications surprenantes.
Manifeste contre l’artifice
Si Lone Scherfig, a choisi d’adopter les règles immuables du „Dogme“, énoncées par Lars Von Trier, elle n’en reste pas moins comme un perce neige ou un rayon de soleil traversant une chape de nuage; remplie de fraîcheur et de poésie. Tout le contraire de ce Dogme, sorte de manifeste contre l’artifice utilisé au cinéma, contre toute forme d’esthétisme ou d’effet embellissant de la réalité. Obligation pour le réalisateur de filmer caméra à l’épaule, interdictions d’action superficielle (meurtres, armes, …). Des règles dignes d’un sacerdoce, auxquelles on ne peut déroger sous peine de trahir „le maître“ Von Trier, qui ne respecte plus ses fameux 10 commandements.
Lone Scherfig prouve qu’il est possible de faire partie de cette étrange confrérie sans se départir de son sens de l’humour ni une certaine légèreté. Preuve que le Dogme n’est pas un genre condamné à montrer la médiocrité, la souffrance ostentatoire, mais que l’imagination et la vie peuvent y trouver leur chemin aussi.
Séverine Rossewy
Au ciné Utopia