Le suspense autour du contenu de l’accord de coalition a été vite levé par des fuites dans la presse. Selon les domaines abordés, il est plus ou moins précis sur les intentions du nouveau gouvernement. Des fils conducteurs s’en dégagent néanmoins, comme la simplification et l’accélération des procédures administratives, visant à réduire le poids de l’intervention publique dans la conduite des affaires.
Luc Frieden voulait réserver l’exclusivité de l’accord de coalition aux membres du CSV et du DP, avant de le transmettre aux député-es et, en dernier lieu, au grand public. Une sélectivité vivement critiquée, mais qui a fait long feu. Signé dans la matinée du jeudi 16 novembre entre les deux partis, le document a mis moins de 24 heures à fuiter et à être divulgué en ligne par plusieurs médias. Il fallait évidemment s’y attendre, et l’on peut s’interroger sur l’apparente naïveté de Luc Frieden, pensant préserver le secret pendant quatre ou cinq jours dans une société où l’info immédiate est devenue la norme. Un couac dans la communication, pourtant bien huilée, du formateur chrétien-social depuis le début des négociations de coalition, le 11 octobre.
Jamais, à vrai dire, les discussions entre futurs partenaires gouvernementaux n’avaient été autant fléchées pour les médias. Les délégations chrétienne-sociale et libérale se sont réunies pendant cinq semaines au château de Senningen, dont les hautes clôtures sont gardées par l’armée. Pas facile, dans ces conditions, d’approcher les délégué-es et d’en tirer des indiscrétions. Luc Frieden a, en revanche, tenu des points presse réguliers, rendez-vous auxquels le gros des médias a prestement répondu présent. Pour s’y voir délivrer de maigres annonces formelles, se limitant à notifier une prochaine étape dans les négociations ou un rendez-vous avec le grand-duc. Cette stratégie semblait dès lors moins motivée par l’exigence de transparence que par la volonté de Luc Frieden de garder la main sur sa communication, en tenant les médias en haleine.
L’étape suivante a été la signature de l’accord de coalition, suivie de l’emballement politico-médiatique provoqué par l’intention du nouveau premier ministre de le tenir secret pendant plusieurs jours. L’agitation a été de courte durée autour de ce document, un peu vite présenté en graal de la coalition de droite. Il est sans doute utile de rappeler que, à l’instar des promesses électorales, il n’engage en rien ses signataires, qu’il ne crée aucune obligation légale pour le gouvernement.
L’accord de coalition n’engage en rien ses signataires, il ne crée aucune obligation légale pour le gouvernement.
Sur le fond, l’accord est un assemblage des programmes du CSV et du DP. Précis sur certains points, comme les finances publiques et la fiscalité, il se contente de vagues engagements sur d’autres sujets, comme la politique transfrontalière. Dans bien des cas, il prône des révisions et des adaptations, mais sans en préciser le sens. « Le gouvernement analysera la loi sur le détachement des travailleurs et l’adaptera si nécessaire », peut-on par exemple lire au chapitre « Travail ». Rien de réellement neuf à tout cela, les accords de coalition étant, à peu de chose près, toujours du même tonneau.
Les 209 pages du document présentent tout de même quelques singularités. L’une d’elles est sans doute le nombre d’occurrences du mot « procédure », qui revient une soixantaine de fois pour prôner simplification, adaptation, voire abrogation. Certaines mesures semblent de bon sens, comme limiter à un seul le nombre d’envois d’une même information à l’administration, sans avoir à la répéter indéfiniment dans la durée et d’un service à l’autre. Dans le programme gouvernemental du CSV et du DP, la simplification et l’accélération des procédures sont présentes à tous les étages : dans l’enseignement, les services publics, l’immigration, la fiscalité, l’assurance maladie, la justice, l’agriculture et même le sport.
C’est aux chapitres économie, logement, énergie, pauvreté et environnement que la coalition se fait cependant le plus insistante. Le principe du « silence vaut accord » dans les secteurs de la construction, de l’environnement ou de l’énergie est à ce titre emblématique : en cas d’absence de réponse de l’administration dans un délai jugé raisonnable, le demandeur sera fondé à se passer de son autorisation. « Les procédures sur l’environnement ne doivent pas empêcher la construction de nouveaux logements », répète à l’envi Luc Frieden. Et c’est sur l’environnement que le nouveau chef du gouvernement promet une révolution par un choc de simplification qui risque fort d’être synonyme de régression.
La simplification et l’accélération des procédures sont une marotte de toutes les droites, biberonnées depuis 40 ans aux principes néolibéraux. Elles visent à réduire le contrôle et l’intervention des pouvoirs publics sur la marche des affaires, tant dans le domaine purement privé que dans celui de l’entreprise. Ouvertement business friendly comme ses prédécesseurs, le gouvernement Frieden-Bettel soignera particulièrement – et sans surprise – le monde des affaires, auquel est promis un train de simplification administrative sans précédent.
À lire l’accord, une bonne partie des maux du Luxembourg trouve ses origines dans une bureaucratie trop pesante et omniprésente. Une façon commode de balayer sous le tapis les causes structurelles à l’origine des inégalités sociales, de la crise climatique ou de la spéculation foncière et immobilière. Et de continuer comme si de rien n’était.