Atteintes à l’environnement, à la santé publique, à la justice sociale et à la démocratie : l’accord de libre-échange entre l’UE et les cinq pays sud-américains du Mercosur cumule toutes les tares.
« Du bœuf contre des bagnoles » : c’est par cette formule triviale que ses adversaires raillent la conclusion des négociations de l’accord de libre-échange entre l’UE et le Mercosur. Celle-ci a été actée lors d’un sommet de l’organisation latino-américaine en Uruguay, le 6 décembre. Pour l’occasion, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a fait le déplacement à Montevideo, où se réunissaient les dirigeants argentin, bolivien, brésilien, paraguayen et uruguayen, mais aussi le premier ministre espagnol, Pedro Sánchez. L’Espagne et le Portugal, qui entretiennent des relations privilégiées avec la région, sont de fervents défenseurs de ce traité, tandis que l’Allemagne y voit une planche de salut pour son industrie automobile en crise. La séquence met un terme à 25 ans de négociations destinées à créer un vaste marché entre l’UE et les cinq pays sud-américains par des baisses considérables et des exemptions de droits de douane.
Il est peu dire que la présence de la présidente de la Commission à Montevideo a irrité au plus haut point Paris. La France s’oppose formellement à l’accord, dont elle avait pourtant validé le principe à la fin des années 1990, sans jamais trouver à y redire. Cette opposition très opportuniste sur le plan de la politique intérieure a gagné en vigueur ces derniers mois à la faveur de la fronde des agriculteurs et d’une majeure partie de l’opinion publique, qui y sont défavorables.
Sur le papier, Ursula von der Leyen n’a pas outrepassé le mandat de négociation confié à la Commission par le Conseil européen, l’organe qui réunit les États membres. Sur le plan politique, Paris dénonce un passage en force, alors qu’Emmanuel Macron est fragilisé par l’instabilité institutionnelle qu’il a lui-même créée. « La conclusion politique de la négociation n’engage pas les États membres », a fait savoir le gouvernement français démissionnaire. Pour bloquer l’accord, la France doit rallier au moins trois pays représentant au moins 35 % de la population de l’Union. C’est loin d’être gagné, car la Pologne, l’Italie, l’Autriche ou l’Irlande, qui avaient émis de sérieuses réserves, semblent désormais prêtes à le signer. Pour l’anecdote, l’épisode a valu à von der Leyen d’être discrètement désinvitée à la cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris. On s’offre les vengeances que l’on peut ! Mais l’essentiel n’est évidemment pas là.
S’il entre en vigueur, cet accord favorable au big business aura des effets délétères, en contradiction avec les défis environnementaux et sociaux apparus ces 25 dernières années.
De fait, s’il entre en vigueur, cet accord favorable au big business aura des effets délétères, en contradiction avec les défis environnementaux et sociaux apparus ces 25 dernières années. Il est climaticide et destructeur pour la biodiversité, car il générera davantage de transport transatlantique et encouragera, dans les pays du Mercosur, la déforestation et l’usage accru de pesticides par ailleurs interdits en Europe. Ce dernier point suscite aussi des inquiétudes pour la santé des consommateurs·rices européen·nes, tout comme l’emploi d’hormones dans l’élevage bovin, alors que le deal prévoit l’importation de près de 150.000 tonnes de bœuf, dont 45.000 seront exemptées de droits de douane. De quoi enfoncer davantage encore des agriculteurs·rices européen·nes déjà socialement précarisé·es et tenu·es par des normes plus contraignantes que leurs homologues sud-américain·es. Dans une tribune publiée dans le Wort, le président de la Baueren-Allianz, Marco Koeune, dénonce un texte contraire aux objectifs de souveraineté alimentaire, rappelant que la crise du covid-19 nous a montré à quelle vitesse le commerce mondial peut être mis à l’arrêt.
Il est aussi singulier de constater qu’au moment où l’accord se concluait à Montevideo, les États membres n’étaient pas informés de tous ses détails. Comme pour d’autres textes du même acabit, les négociations ont été menées dans l’opacité la plus totale, au nom d’une certaine forme de « secret des affaires », loin des yeux des citoyens et citoyennes, mais aussi des gouvernements. Une nouvelle fois, cette méthode antidémocratique alimente la défiance envers l’UE et plus largement envers le monde politique, dont se repaît l’extrême droite. La fulgurante ascension politique de cette dernière ne semble pas plus inquiéter que cela les aficionados du libre marché. Tant que bœufs et bagnoles peuvent circuler sans entrave.