Dans son nouveau film, « Vice », Adam McKay prend à partie Dick Cheney. L’ancien vice-président de George W. Bush y est présenté comme un manipulateur cynique, assoiffé de pouvoir – un pamphlet féroce, documenté et rythmé, servi par une distribution impeccable.
Dans « Vice », le double sens du titre annonce la couleur : Dick Cheney, vice-président et président du vice. Pourtant, il partait de loin. Viré de Yale en 1963 pour ivrognerie et manque d’assiduité, Cheney doit retourner au milieu de nulle part dans son Wyoming natal. Il y vit de petits boulots le jour, boit et se bagarre la nuit, jusqu’au moment où sa femme, Lynne, le met au pied du mur : soit il se ressaisit, soit elle le quitte. Cheney opte pour la première option. En 1969, il devient assistant parlementaire de Donald Rumsfeld, dans le sillage duquel sa carrière décolle. En 1989, il est nommé secrétaire à la Défense par George Bush senior. Onze ans plus tard, le fils de ce dernier lui demande de devenir son candidat à la vice-présidence. Flairant le pigeon, Cheney accepte. Durant les deux mandatures de Bush junior, c’est lui qui tirera en réalité les ficelles.
Adam McKay n’est pas impartial, mais il a le grand mérite de ne pas s’en cacher. Son dernier film est un produit de cette Amérique libérale qui attribue aux Républicains – et, en l’occurrence, à Dick Cheney – la paternité de tous les maux qui nous mènent à l’apocalypse : interventions militaires unilatérales, financiarisation de l’économie, explosion des inégalités, réchauffement climatique. Barack Obama, qui n’a pourtant supprimé aucun d’entre eux, n’apparaît à l’écran qu’au son des violons. Quant à l’électorat de Trump, il est dépeint comme un troupeau de gros beaufs décérébrés. C’est un peu simple et surtout complètement contre-productif. Aux États-Unis, le film a à peu près marché sur les deux côtes mais n’a été vu par quasiment personne dans les terres. Bref, il n’a attiré qu’un public déjà convaincu.
Mais pour celui-là, quelle jubilation ! « Vice » est une œuvre féroce et facétieuse, qui n’est pas sans rappeler « Il Divo » de Sorrentino. Tout comme ce film qui réinventait les codes du biopic politique, il regorge de trouvailles cinématographiques. McKay n’a pas fait pour rien ses classes dans le cultissime « Saturday Night Live ». Il a ensuite réalisé une série de comédies déjantées avec son acolyte Will Ferrell. De ces expériences, il a gardé un sens du rythme, de la punchline et du rebondissement formel. Cela lui permet de faire passer tout un tas d’informations pointues, comme il l’avait déjà fait en 2015 dans l’excellent « The Big Short », son long métrage sur la crise des subprimes.
Il prend ainsi le risque, au final payant, d’appuyer une bonne partie de son récit sur une thèse de droit constitutionnel américain : celle de l’exécutif unifié. Cette doctrine donne force de loi à toute décision du président – et accessoirement du vice-président. Elle a permis à l’administration Bush d’envahir l’Afghanistan et l’Irak, d’ouvrir le camp de Guantanamo ainsi que des prisons secrètes dans des pays autorisant la torture ou encore de lancer un programme de surveillance des communications qui aurait fait hurler Staline d’extase.
Enfin, s’il fallait voir « Vice » uniquement pour la performance des acteurs, ça en vaudrait largement la peine. Apprendre que Christian Bale a pris une vingtaine de kilos pour jouer Cheney peut prêter au ricanement, voire agacer. Sauf que, dans ce cas, la transformation physique contribue réellement à l’époustouflante performance de l’acteur britannique. Amy Adams n’est pas moins impressionnante dans le rôle de Lynne Cheney, dépeinte ici comme une sorte d’Hillary Clinton ultraconservatrice qui aurait vécu la carrière politique dont elle rêvait à travers son mari. Steve Carell et Sam Rockwell sont moins dans le registre de l’incarnation que dans celui de la satire. Le premier interprète un Rumsfeld mufle et cabot, le second un George W. Bush plus stupide que nature. Alors oui, c’est exagéré, c’est engagé, mais c’est ce qui caractérise un pamphlet et ça n’empêche pas de réfléchir, bien au contraire.
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L’évaluation du woxx : XXX