Benedikt Erlingsson : Après elle, le déluge

« Kona fer í stríð » (Woman at War) raconte l’histoire d’une femme intrépide, qui lutte contre les multinationales de l’aluminium. Ce qui rend ce film islandais particulièrement brillant ? À première vue, il est léger et réjouissant, mais au fond, il s’agit d’un cauchemar.

Halla doit trouver un sens à ses multiples combats – et surtout vaincre le mutisme qui l’entoure.

Dans sa vie de tous les jours, Halla, cinquantenaire célibataire, dirige une chorale. Mais loin des regards, elle mène une guerre solitaire contre les multinationales de l’aluminium. Armée de son arc, elle part à l’assaut des lignes à haute tension qui balafrent les hauts plateaux d’Islande pour alimenter leurs usines voraces en énergie. La réponse favorable à une demande d’adoption, qu’elle avait faite quatre ans plus tôt, mais à laquelle elle avait cessé de croire depuis belle lurette, va cependant la placer face à un dilemme : sauver le monde en risquant sa liberté, voire sa vie, ou se préserver pour le bien d’une petite fille vouée à devenir la sienne ?

Heureux les Islandais-e-s, petit peuple comme nous, mais qui nous file régulièrement des complexes. Ils et elles ne sont pas plus de 300.000, perdus dans l’Atlantique nord et ont choisi de ne pas adhérer à l’Union européenne, ont refusé de payer l’ardoise de leurs banquiers irresponsables après la crise des subprimes et ont même poussé à la démission un premier ministre quand les Panama Papers avaient révélé qu’il fraudait le fisc. On ose ensuite nous dire qu’à l’ère de la mondialisation il n’y a point de salut hors de grands ensembles impériaux… Or, non seulement les Islandais-e-s prospèrent économiquement mais ils et elles s’épanouissent aussi culturellement, produisant depuis longtemps des musicien-ne-s, des écrivain-e-s, des réalisateurs et réalisatrices de renom international.

Leur secret ? Probablement l’attachement farouche à la liberté, qui est l’enjeu même de ce film. « Kona fer í stríð  » est un appel à la résistance sans être un tract, grâce à l’interprétation tout en nuances et l’énergie de Halldora Geirhardsdottir – dans le double rôle de Halla et de sa sœur -, à la beauté crue des paysages islandais, à l’intelligence et à l’imagination d’un scénario cosigné par le réalisateur, Benedikt Erlingsson. Son deuxième long-métrage déborde de petites trouvailles réjouissantes. Il y a cet orchestre et ce chœur traditionnel de chanteuses ukrainiennes qui accompagnent littéralement Halla dans ses aventures ; il y a ce jeune touriste latino-américain qui se trouve toujours au mauvais endroit, au mauvais moment.

En apparence, il s’agit là d’une œuvre à la fois profonde et légère, pleine d’humour et d’enthousiasme. Mais ce n’est qu’un faux-semblant, car à y regarder de plus près, le running gag du Latino n’est pas si drôle que ça. Ce que dit réellement l’histoire n’est pas qu’il est victime des circonstances, mais d’un faciès qui fait de lui un suspect évident. Ainsi, sans avoir l’air d’y toucher, « Kona fer í stríð  » nous plonge dans les pires cauchemars contemporains : la menace de cataclysme climatique, la fin de la démocratie, la manipulation des masses par ceux-là mêmes qui perpétuent un ordre injuste tout en dénonçant les fake news. Pourquoi faire taire un combat quand il suffit de le discréditer ? À un moment clé du film, Halla tente de calmer son complice, un fonctionnaire qui lui livrait des informations venant de son ministère. « Tu n’as rien compris », essaie-t-il de lui expliquer. « Ils ne vont pas chercher à étouffer le débat, ils vont l’orienter dans le sens qui les arrange ! » Bref, un film où le rire est assuré, mais l’étouffement aussi.

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

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