Casseroles et gros sous pour Socfin Bolloré

Une casserolade a accueilli les actionnaires de Socfin, ce 30 mai, à l’assemblée générale du groupe luxembourgeois qui produit huile de palme et caoutchouc. Les ONG reprochent des violations des droits humains et environnementaux à la multinationale, qui affiche des résultats financiers sans précédent et accorde d’enviables indemnités à ses administrateurs, dont le milliardaire français Vincent Bolloré.

Socfin, ONG, Bolloré, Luxembourg

Des militantes exhibent une « certification d’agriculture irresponsable » à l’entrée de l’hôtel de Luxembourg où se réunissent les actionnaires de Socfin. (Photo : Etika/Ekkehart Schmidt)

Casseroles et slogans accusateurs à l’extérieur, ambiance feutrée et confortables profits à l’intérieur : ce mardi 30 mai, les actionnaires de Socfin sont réuni-es dans les salons de l’hôtel Parc Belair, à Luxembourg, pour l’assemblée générale de la multinationale, tandis qu’une quinzaine d’activistes dénonce les violations des droits humains et environnementaux dont se rend coupable, à leurs yeux, le groupe luxembourgeois. La scène tient presque du rituel autour de la société majoritairement détenue par l’homme d’affaires belge Hubert Fabri (55 %) et le financier français Vincent Bolloré (39 %).

Socfin est dans le collimateur des ONG depuis 2013 et ses assemblées générales annuelles sont perturbées par des manifestations depuis 2015, exception faite des années covid, où ces réunions se tenaient en visioconférence. Des ONG luxembourgeoises et belges relaient les revendications de leurs partenaires de huit pays en Afrique et deux en Asie, où le groupe exploite des plantations de palmiers à huile et d’hévéas.

Avec une innovation cette année : s’inspirant des protestations contre la réforme des retraites en France, les activistes ont sorti les casseroles pour se faire entendre jusque dans les salons de l’hôtel, provoquant l’agacement d’Hubert Fabri et Vincent Bolloré. « C’est la première casserolade au Luxembourg », lance un militant belge, pendant que les actionnaires arrivent au compte-gouttes. Certain-es acceptent les tracts et flyers distribués par les manifestant-es et écoutent distraitement leurs arguments, sans pour autant engager le dialogue. Mais la plupart se faufilent rapidement à l’intérieur de l’hôtel, dont l’entrée est gardée par des agents de sécurité qui en barrent l’accès aux membres des ONG et aux journalistes.

Deux militantes d’ONG belges, qui possèdent chacune une action Socfin afin d’assister à l’assemblée générale, font aussi connaître les plaintes et revendications des populations riveraines des plantations pendant la réunion et remettent au groupe une « certification d’agriculture irresponsable ». Mais elles n’obtiennent aucune réponse aux questions qu’elles posent au conseil d’administration.

La liste des griefs s’allonge

Les griefs faits à Socfin par les ONG sont nombreux, et la liste s’allonge d’année en année sans que les protestations y changent grand-chose : accaparement des terres au détriment des riverains, travail des enfants, pollution des sols et cours d’eau, intimidation et répression des populations opposées aux projets de la multinationale, absence de volonté de résoudre les conflits par des mécanismes indépendants. Les ONG reprochent également au groupe de prendre des libertés avec le processus de certification RSPO, qui garantit la durabilité de l’huile de palme.

Bolloré Socfin Luxembourg

Le financier et milliardaire breton Vincent Bolloré. (Photo : Wiki Commons)

Pour la société civile luxembourgeoise, Socfin symbolise les dérives et abus des multinationales dans les pays du Sud et la nécessité de se doter d’une loi pour y mettre fin. C’est tout l’objet de l’Initiative pour un devoir de vigilance, une coalition d’organisations luxembourgeoises, qui milite pour l’adoption d’une législation nationale et européenne obligeant les entreprises à respecter les droits humains et environnementaux ainsi qu’à apporter réparation lorsqu’ils sont violés. « Il nous faut un instrument, une loi qui ne soit pas juste indicative, mais qui permette un vrai droit de poursuite », argumente Raymond Weber, président de SOS Faim Luxembourg, présent à la manifestation. « Notre ministre des Affaires étrangères promeut les droits humains et le Luxembourg siège au Conseil des droits de l’homme de l’ONU, mais cela ne change rien aux pratiques, il faut aller au-delà des paroles », s’indigne-t-il. Depuis trois ans, le président de SOS Faim est sous le coup de poursuites judiciaires intentées par Socfin, qui l’accuse de diffamation suite à la publication d’informations dérangeantes sur le site de l’organisation.

Superindemnités pour les administrateurs

Vincent Bolloré est coutumier de ces « procès bâillons » destinés à réduire au silence ONG et médias qui l’accusent d’engranger des profits au détriment des communautés locales en Afrique et en Asie. Les profits de Socfin, précisément, atteignent des niveaux sans précédent : 164 millions d’euros nets en 2022, un léger recul de 3 millions par rapport à l’année précédente, mais une culbute spectaculaire lorsqu’on les compare aux 29 millions d’euros gagnés en 2020, selon le dernier bilan annuel de l’entreprise. Ce qui a bondi aussi, ce sont les indemnités accordées aux six membres du conseil d’administration au sein duquel siège Vincent Bolloré, son fils Cyrille, ainsi qu’Hubert Fabri et ses deux fils : elles sont passées à 18 millions d’euros sur l’exercice 2022, contre 7 millions en 2021. Un gain confortable, fiscalement plus avantageux que le versement de dividendes, plus lourdement taxés que les indemnités perçues par les administrateurs.

Photo : Etika ; Ekkehart Schmidt

Pour contrer les critiques des ONG et les enquêtes journalistiques qui les accréditent, Socfin déploie une communication invoquant ses investissements dans la construction d’écoles, de dispensaires et d’infrastructures diverses autour de ses plantations. « Mais de nombreux riverains lésés par les activités de la société n’y ont pas accès, c’est souvent réservé aux seuls employés », avance Florence Kroff de l’ONG belge FIAN. Elle est l’une des deux militantes qui ont assisté à l’assemblée générale et dénonce le « washing » permanent pratiqué par le groupe luxembourgeois : « À les entendre, on pourrait croire qu’ils font de l’humanitaire alors que c’est juste business as usual. »

Socfin, fondée en 1909, perpétue ainsi le discours de la « mission civilisatrice » entérinant l’expansion coloniale européenne du 19e siècle. Il y a une dizaine de jours, 80 femmes camerounaises ont adressé une lettre à leur président, Paul Biya, pour fustiger les pratiques de la filiale locale de Socfin, car elle les soumet à une « extrême privation des droits fondamentaux que sont le droit à la vie, le droit à la protection de son intégrité physique, la liberté d’aller et venir, le droit à un niveau de vie suffisant, le droit au travail, le droit à l’éducation ». Quel que soit le nom qu’on lui donne aujourd’hui, la « mission civilisatrice » demeure ce qu’elle a toujours été : un mythe justifiant, en toute bonne conscience, l’exploitation des pays du Sud par des entreprises du Nord.


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