Le droit du travail et les libertés syndicales se détériorent partout dans le monde, révèle la Confédération syndicale internationale (CSI). Ces attaques sont principalement le fait de milliardaires associé·es à des gouvernements d’extrême droite, avance l’organisation. Dans l’indice 2025 de la CSI, l’Europe enregistre son plus mauvais score, pointant notamment le recul des négociations collectives.

La CSI s’inquiète de la répression dont font l’objet les syndicalistes en France, où plus de 1.000 membres de la CGT ont été poursuivi·es lors des manifestations contre la réforme des retraites. (Photo : François Goglins/Wiki Commons)
Dans son « Indice 2025 », la Confédération syndicale internationale (CSI) dresse un constat sombre de l’état du droit du travail dans le monde. Il recule presque partout, et cette aggravation est particulièrement sensible en Europe, qui enregistre son plus mauvais score depuis la création de cet indicateur en 2014. Principalement en cause, « les violations des droits fondamentaux, notamment l’accès à la justice, le droit à la liberté d’expression et à la liberté de réunion, et le droit de négociation collective », relève la CSI. Pour l’organisation, qui fédère 341 syndicats dans 170 pays, « nous assistons actuellement à un véritable coup d’État contre la démocratie : un assaut concerté et persistant, mené par les entreprises et par les autorités publiques qui menacent la démocratie, porte atteinte aux droits et au bien-être des travailleurs ».
L’étude 2025 se base sur les données recueillies en 2024 et porte sur 151 pays, dont le grand-duché ne fait pas partie, bien que les syndicats luxembourgeois OGBL et LCGB soient affiliés à la CSI. Parmi les faits les plus saillants, l’indice relève que l’accès à la justice pour les salarié·es a été restreint ou empêché dans 72 % des pays étudiés, que le droit de grève a été violé dans 87 % des pays ou encore que le droit de négociation collective a été entravé dans 80 % d’entre eux.
Sur le plan géographique, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord demeurent « la pire région pour les droits des travailleurs », note la CSI. Bien que l’Europe « reste la région la moins répressive pour les travailleurs, une détérioration constante a été observée au cours des quatre dernières années », déplore l’étude. La note moyenne du continent en 2025 est de 2,78 sur 5, contre 2,73 l’année précédente (plus le score est élevé, plus la situation est mauvaise). « Quasiment trois quarts des pays européens ont violé le droit de grève et près d’un tiers d’entre eux ont arrêté ou détenu des travailleurs et travailleuses », liste notamment la CSI.
Dans l’Union européenne, l’Italie fait partie des six pays dans le monde dont la note se dégrade en 2025, en raison notamment de la proposition de Giorgia Meloni de criminaliser le droit de grève et de manifestation en cas de blocage routier ou ferroviaire, avec des peines de prison allant jusqu’à deux ans. La Finlande préoccupe la CSI en raison des lois restreignant le droit de grève, adoptées sous la férule du gouvernement de Petteri Orpo, allié à l’extrême droite.
Frieden dans les pas de Macron

(Photo : Aaron Cass/Unsplash)
Le cas de la France est plus largement détaillé parmi les pays européens et se révèle particulièrement intéressant au regard de la situation actuelle du Luxembourg. La CSI relève que, en France, « la négociation collective dans les petites et moyennes entreprises (PME) est en état de siège depuis les réformes régressives de 2017 », et les ordonnances travail prises par Emmanuel Macron, immédiatement après sa première élection à la présidence. Ces dispositions « ont donné davantage de pouvoir aux employeurs pour imposer les conditions de travail et contourner la représentation collective », observe l’étude, qui en détaille les conséquences : « En l’absence de représentants des travailleurs (c’est-à-dire pour la grande majorité des PME), les employeurs peuvent rédiger des conventions collectives et les soumettre au vote des travailleurs sans avoir accès aux conseils des syndicats. Selon les statistiques de 2024, 40,2 % des conventions collectives d’entreprise ont été adoptées par ce type de référendum patronal. »
L’exemple français rappelle furieusement le projet du gouvernement de Luc Frieden et du patronat luxembourgeois, qui cherchent à marginaliser les syndicats et à favoriser les conventions collectives directement négociées entre patronat et salarié·es. Aux yeux de la CSI, ces détournements illustrent un « mépris de nombreux pays à l’égard des accords internationaux destinés à défendre les droits des travailleurs ».
La France est aussi pointée du doigt en raison d’une répression croissante des activités syndicales : « Plus de 1.000 dirigeants syndicaux et membres de la Confédération générale du travail (CGT) ont fait l’objet de poursuites au pénal et de mesures disciplinaires pour le rôle qu’ils ont joué dans les manifestations de masse contre la réforme des retraites. » Le rapport cite notamment le cas de Laurent Indrusiak, secrétaire général CGT de l’Allier, convoqué 33 fois par la police en deux ans. Autre pays européen, la Belgique est fustigée pour les mêmes raisons.
En Europe, « ce climat hostile aux travailleurs va de pair avec l’émergence de ‘syndicats jaunes’ contrôlés par les employeurs », blâme la CSI, faisant, là encore, écho à l’inquiétude exprimée par les syndicats luxembourgeois face à la volonté de la coalition CSV-DP de favoriser les « délégations neutres » dans les négociations collectives, au détriment des syndicats représentatifs.
Concentration de richesses
Pour Luc Triangle, secrétaire général de la CSI, cette dégradation générale est le fait « d’un groupe de plus en plus restreint de personnes qui s’accaparent une portion disproportionnée des richesses », écrit-il en introduction du rapport. Citant, « une minuscule fraction de la population mondiale », qu’il estime à 1 %, le syndicaliste affirme que « cette concentration du pouvoir économique autorise une poignée de milliardaires à exercer une influence démesurée sur les prises de décisions mondiales, y compris sur les droits et les protections liés au travail, ce qui entraîne des conséquences directes pour la vie des travailleurs et des travailleuses, qui font fonctionner l’économie ». Plus précisément, Luc Triangle estime que « cette atteinte à la démocratie est souvent orchestrée par des responsables politiques d’extrême droite et leurs soutiens milliardaires non élus ». Dans son indice, la CSI évoque plus particulièrement les liens entre Donald Trump et Elon Musk aux États-Unis ou la proximité entre le président argentin Javier Milei et le milliardaire Eduardo Eurnekian, qui a fait fortune dans les médias, les aéroports et l’extraction d’énergies fossiles.
« La répression du droit de grève et les efforts systématiques de l’État pour entraver les activités syndicales sont apparus comme une tendance commune aux pays qui ont vu leur note se dégrader en 2024 », établit la CSI, parlant d’une « guerre mondiale contre le droit du travail ».
Face à ce tableau alarmant, l’organisation cite en contre-exemple trois pays dont la note s’est améliorée dans l’indice 2025 : l’Australie, le Mexique et Oman. Ces résultats ont été obtenus grâce à « des réformes visant à faciliter l’accès à la justice pour les travailleurs et à promouvoir un dialogue tripartite plus efficace entre les gouvernements, les représentants des travailleurs et les employeurs ». Un dialogue là encore mis à mal par le gouvernement luxembourgeois, dont le premier ministre, Luc Frieden, a rejeté ce 2 juin la proposition des syndicats de réunir une tripartite pour trouver une solution négociée à la détérioration manifeste du climat social.
Pour contrer l’offensive menée par des gouvernements et le patronat contre le droit du travail et les libertés syndicales, Luc Triangle appelle à renforcer le poids des syndicats : « Le mouvement syndical mondial est la plus grande force démocratique sociale qui existe sur le globe pour défendre les libertés démocratiques, améliorer la vie des travailleurs et préserver leurs intérêts dans le monde du travail. » Le secrétaire général de la CSI aspire à « créer un front uni contre l’élite mondiale bien organisée, qui cherche à façonner le monde à son avantage en obligeant les travailleurs à en supporter le coût ».