Conflit israélo-palestinien : « Tant qu’il n’y aura pas la paix en Palestine, il n’y aura pas la sécurité en Israël »

Vendredi 16 mai, Xavier Bettel a tenu une conférence de presse pour faire le point sur la position luxembourgeoise concernant le conflit israélo-palestinien. Si la reconnaissance de la Palestine n’est pas à l’ordre du jour, le ministre des Affaires étrangères a une nouvelle fois insisté sur l’urgence d’un cessez-le-feu et fait part de sa volonté d’« accroître la pression » sur l’État hébreu, qui « n’écoute plus ».

Xavier Bettel a dit vouloir « accroître la pression sur Israël ». (© Tatiana Salvan)

Au cours d’une conférence de presse inattendue, le 16 mai, soit deux jours avant l’annonce par Benjamin Netanyahou du lancement de l’opération « Chariots de Gédéon » sur Gaza, Xavier Bettel a réaffirmé la position du Luxembourg sur le conflit israélo-palestinien. Le chef de la diplomatie luxembourgeoise, qui s’est déjà rendu à quatre reprises en Israël et en Palestine depuis le début du conflit, a paru visiblement affecté par la situation humanitaire à Gaza. « Je l’ai dit à maintes reprises, et je le dis encore aujourd’hui : ce que fait l’armée israélienne à Gaza ne relève plus depuis longtemps de la légitime défense. Cela n’est plus conforme aux lois de la guerre, qui exigent une certaine proportionnalité et la protection des civils. Le 18 mars, des frappes ont tué 436 personnes, dont 183 enfants. Ce n’étaient pas 436 terroristes, et certainement pas le cas pour ces 183 enfants », a-t-il déclaré, qualifiant Gaza de « cimetière à ciel ouvert ». « La population civile souffre d’une faim aiguë. Or, la famine comme arme de guerre est également interdite par le droit international. Une population entière de deux millions de personnes est punie collectivement pour les actions du Hamas. Avons-nous vraiment besoin de répéter une fois de plus qu’un cessez-le-feu est indispensable ? »

« Ce que fait actuellement le gouvernement israélien est injustifiable », a-t-il ajouté. Les autorités israéliennes « nous expliquent que c’est parce que le Hamas n’est toujours pas détruit. Mais ils ont éliminé ses dirigeants. Le Hamas est aussi une idéologie, ce n’est pas évident de le détruire dans son ensemble. (…) Au contraire, à cause de la situation actuelle, nous risquons de pousser les jeunes encore plus loin dans l’extrémisme, [nous risquons de les pousser] à soutenir le Hamas », a-t-il alerté. « Nous devons non seulement maintenir, mais aussi accroître, la pression sur Israël, en tant que Luxembourg, en tant qu’UE et en tant que communauté internationale. (…) Tant qu’il n’y aura pas la paix en Palestine, il n’y aura pas la sécurité en Israël. Il faut que les Israéliens le comprennent », a appuyé le chef de la diplomatie.

En dépit de ce discours, Xavier Bettel n’a guère annoncé de mesures concrètes, se retranchant derrière les décisions collectives et assurant que « les moyens [de pression] sont limités ». Il a notamment rappelé son soutien à l’initiative de son homologue néerlandais, Caspar Veldkamp, qui réclamait le 10 mai une révision de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, dont l’article 2 souligne que ces relations reposent sur « le respect des droits de l’homme et des principes démocratiques ». Grâce à cet accord, entré en vigueur en 2000 et évalué à 45 milliards d’euros par an, des échanges commerciaux sont facilités, notamment dans les secteurs industriel et agricole. « Si la condition de non-violation des droits de l’homme n’est pas remplie, nous soutiendrons la suspension », a déclaré Xavier Bettel. Une demande finalement entendue quatre jours plus tard : ce 20 mai, la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, a effectivement annoncé le réexamen de l’article 2, « pour vérifier si Israël respecte bien les droits humains et les principes démocratiques ».

Quant à infliger à Israël des sanctions supplémentaires au niveau européen – le Conseil de l’UE a approuvé en juillet dernier des mesures restrictives à l’encontre de cinq personnes et de trois entités (des « colons israéliens extrémistes en Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est et des militants violents bloquant l’aide humanitaire destinée à Gaza ») –, cela est dans l’immédiat impossible, en l’absence d’unanimité des Vingt-Sept.

Pas question non plus pour le Luxembourg de reconnaître seul et en l’état la Palestine, même si le ministre table toujours, in fine, sur la solution à deux États. Pour lui, la reconnaissance de l’État de Palestine doit en effet faire partie d’un « package » incluant un certain nombre de conditions en contrepartie, comme l’obtention d’une normalisation des relations entre les pays arabes et Israël, le désarmement du Hamas, une éducation moins radicale et la tenue d’élections en Palestine. Une reconnaissance symbolique « ne changerait rien », a affirmé Xavier Bettel. « Qu’est-ce que ça a changé depuis que [l’Espagne et l’Irlande] ont reconnu la Palestine ? Rien, ça a eu zéro effet. Et si je reconnais la Palestine, est-ce que j’ai envie d’avoir le Hamas comme interlocuteur à Ramallah ? », a-t-il asséné, acerbe. « Je sais que des partis me le demandent, mais ça ne changera rien », a-t-il poursuivi, avant d’affirmer : « Le temps des symboles est fini, j’ai besoin d’action et d’impact. Plus on sera nombreux, plus on aura d’impact », réitérant ici son espoir dans la conférence internationale pour la mise en œuvre de la solution à deux États, coprésidée par la France et l’Arabie saoudite, qui se tiendra à New York du 17 au 20 juin.

Pression de la gauche

Xavier Bettel se trouve en effet lui-même sous pression, que ce soit de la part de militant·es propalestinien·nes ou des partis de gauche, qui dénoncent la politique étrangère et l’inaction du gouvernement luxembourgeois, alors que plus de 53.600 Palestinien·nes, au bas mot, ont été tué·es depuis le début du conflit à Gaza. Suite à la conférence de vendredi, Déi Gréng, dans un communiqué publié le 19 mai, a ainsi taclé le ministre des Affaires étrangères, pointant sa politique du « deux poids, deux mesures » : « Le ministre des Affaires étrangères Xavier Bettel a répété lors [de cette] conférence de presse que la reconnaissance de la Palestine n’aurait rien apporté – mais sa propre passivité n’a pas encore apporté de progrès », ont ironisé les verts. « Alors que la catastrophe humanitaire dans la bande de Gaza continue de s’aggraver et que des milliers de civils souffrent des bombardements, de la faim et des déplacements, le gouvernement luxembourgeois s’en tient à une ligne d’attente et persiste ainsi dans une politique d’hésitation. »

Dernièrement, le LSAP avait également accusé la diplomatie luxembourgeoise d’être « sans cap ni courage » et appelé à la suspension de l’accord UE-Israël ainsi qu’à la reconnaissance de la Palestine. Reconnaissance qui affirmerait « une opposition à l’impunité israélienne et un engagement réel en faveur des droits fondamentaux et de l’autodétermination du peuple palestinien » (woxx 1837). À ce jour, 148 des 193 États membres des Nations unies reconnaissent l’État de Palestine, dont 12 pays membres de l’UE.

Lundi 19 mai, les dirigeants français, britannique et canadien ont publié une déclaration commune sur la situation à Gaza et en Cisjordanie, dans laquelle ils « [s’opposent] fermement à l’extension des opérations militaires israéliennes à Gaza ». Tout en demandant « au Hamas de libérer immédiatement les derniers otages qu’il retient », ils s’engagent à prendre des mesures contre Israël si le gouvernement israélien ne met pas fin à la nouvelle offensive, ne lève pas ses restrictions sur l’aide humanitaire et tente d’étendre ses colonies en Cisjordanie. Le député David Wagner (Déi Lenk) n’a pas manqué, dès le lendemain, d’interpeller Xavier Bettel via une question parlementaire, afin de savoir si le Luxembourg se joignait à cette déclaration. À l’heure où nous publions ces lignes, le ministre n’a pas encore répondu.

16,7 millions d’euros pour les territoires palestiniens occupés

Le Luxembourg a versé près de 15 millions d’euros d’aides aux territoires palestiniens occupés (TPO) en 2024 et prévoit d’en verser 16,7 millions en 2025, a fait savoir Xavier Bettel, lors de la conférence de presse. Une manière pour le vice-premier ministre, qui est aussi ministre de la Coopération et de l’Action humanitaire, de répondre aux critiques accusant son gouvernement d’« inaction ». En 2024, 8,7 millions d’euros ont notamment été fournis à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), dans le viseur des autorités israéliennes depuis sa création en 1949. Inquiet quant à la situation actuelle de l’agence onusienne, dont le gouvernement israélien veut abolir les activités dans les TPO, et s’appuyant sur les conclusions du rapport Colonna, Xavier Bettel a rappelé vendredi qu’« il n’existe pas d’alternative sur le terrain à l’UNRWA ». Des propos réitérés auprès de Philippe Lazzarini, commissaire général de l’agence, lors d’une entrevue bilatérale mardi 20 mai à Bruxelles.


Cet article vous a plu ?
Nous offrons gratuitement nos articles avec leur regard résolument écologique, féministe et progressiste sur le monde. Sans pub ni offre premium ou paywall. Nous avons en effet la conviction que l’accès à l’information doit rester libre. Afin de pouvoir garantir qu’à l’avenir nos articles seront accessibles à quiconque s’y intéresse, nous avons besoin de votre soutien – à travers un abonnement ou un don : woxx.lu/support.

Hat Ihnen dieser Artikel gefallen?
Wir stellen unsere Artikel mit unserem einzigartigen, ökologischen, feministischen, gesellschaftskritischen und linkem Blick auf die Welt allen kostenlos zur Verfügung – ohne Werbung, ohne „Plus“-, „Premium“-Angebot oder eine Paywall. Denn wir sind der Meinung, dass der Zugang zu Informationen frei sein sollte. Um das auch in Zukunft gewährleisten zu können, benötigen wir Ihre Unterstützung; mit einem Abonnement oder einer Spende: woxx.lu/support.
Tagged , , , .Speichere in deinen Favoriten diesen permalink.

Die Kommentare sind geschlossen.