Après « L’économie du couple », Joachim Lafosse poursuit son exploration cinématographique de la vie familiale avec « Les intranquilles », qui aborde les problèmes liés à la bipolarité. Un film intelligent et bien mené, avec deux interprétations en phase.
Ce serait presque une scène de vacances idyllique, avec un père et son fils sur une mer turquoise. Mais tout bascule lorsque Damien décide de rentrer à la nage, laissant Amine, âgé d’une dizaine d’années, ramener seul le bateau à bon port. Sur la rive, Leïla, la mère, se fait un sang d’encre. On est tombé en quelques plans de l’autre côté de la « normalité » psychique. Toujours au bord de l’internement, Damien alternera moments de complicité familiale touchante, périodes d’intensité créative – il est artiste peintre –, mais aussi crises d’exaltation malvenues, comme lorsqu’il porte un panier entier de cupcakes aux élèves de la classe de son fils en plein cours.
« Les intranquilles » n’est cependant pas un film sur la bipolarité d’un personnage : ce qui intéresse Joachim Lafosse, ce sont plutôt les effets délétères de celle-ci sur une famille. On assiste ainsi au lent délitement des relations du couple. On découvre le regard de plus en plus atterré et pourtant plein d’amour d’un fils qui comprend que son père est à la dérive. On souffre avec Leïla, qui, cherchant à éviter les séjours à l’hôpital de Damien, essaie de recréer le cocon familial dont elle a toujours rêvé. Le titre même du long métrage lui refuse cette tranquillité : des troubles bipolaires, on ne guérit pas vraiment, le traitement est à vie.
Du cinéaste, on savait déjà depuis « L’économie du couple » qu’il porte un regard empathique sur les relations familiales, même perturbées. Ici, il se laisse le temps d’installer son histoire, de la modeler lentement mais sûrement. Le rythme du film s’accélère lors des crises de Damien : la caméra s’attache à ses gestes quand il peint avec fureur, au comble de son inspiration. On comprend que s’il ne veut pas prendre le lithium de son traitement – une source de conflit récurrente avec sa femme –, c’est qu’il a peur de perdre cette capacité artistique qui constitue sa raison d’être.
Magistral, Damien Bonnard rend parfaitement le double pôle du caractère de son personnage, dans une performance qui aurait pu être saluée à Cannes, où le film a été présenté. Leïla Bekhti, quant à elle, apporte une intensité lumineuse à ce rôle de femme qui ne veut pas renoncer à préserver l’homme qu’elle aime. On remarquera d’ailleurs que les noms des personnages principaux collent à ceux de leurs interprètes. Peut-être faut-il y voir un clin d’œil au réel, Joachim Lafosse étant lui-même fils de bipolaire. Autre personnage avec cette caractéristique, l’amie de Leïla, Colette, est jouée par Colette Kieffer, comédienne active sur les scènes grand-ducales. Le film a en effet été cofinancé par le Film Fund, et d’autres visages (ou lieux) connus peuvent y être découverts.
Si « Les intranquilles » n’échappe pas à un certain nombre de répétitions inhérentes au cycle des crises qui saisissent Damien, il parvient cependant à maintenir la tension et l’attention deux heures durant. Pas un mince exploit avec ce thème. L’osmose manifeste de ses deux interprètes principaux et la prépondérance de leurs personnages dans le scénario poussent pourtant un peu en retrait la figure du fils, joué par un sympathique Gabriel Merz Chammah. C’est peut-être là le seul regret qu’on pourrait formuler. Mais un petit regret alors… pour un grand film.
L’évaluation du woxx : XXX