Dans les salles : Never Grow Old

Figure emblématique des westerns, le croque-mort se voit rarement offrir les premiers rôles au cinéma. Avec « Never Grow Old », coproduction luxembourgeoise sombre et violente qui joue avec les codes du genre, voilà qui est fait… et de belle manière.

Une spirale de la violence sans fin. (Photo : Iris productions)

Ici, pas de grands espaces propices à de longues et mâles chevauchées, même si l’image est extralarge. Pas d’autochtones non plus : Indiens et Indiennes ont été mis à l’écart depuis belle lurette par les colons installés dans cette bourgade isolée, sur la route de la Californie en pleine ruée vers l’or. Le sol est boueux, l’atmosphère un rien délétère. Le pasteur a pris les rênes de la localité en lieu et place d’un shérif plutôt terne. Dans cette ambiance morne, la religion met au ban même le secours des boissons alcoolisées. Un saloon fermé, dans un western, est-ce donc possible ?

Non, bien entendu, en tout cas pas pour Dutch Albert, l’étranger qui débarque d’on ne sait où – ressort dramatique classique en diable, évidemment –, affublé de deux comparses patibulaires : l’un a littéralement sa langue (coupée) dans sa poche, l’autre baragouine un anglais mâtiné d’italien. Tous les moyens seront bons pour le trio afin de redonner à la ville endormie un lieu de perdition, avec force alcools et prostituées. On l’aura compris, les cadavres vont s’accumuler au fil des oppositions à ce projet. Voilà donc l’Irlandais Patrick Tate, croque-mort du village dont les affaires périclitaient un peu, assuré de jolis bénéfices. Au grand dam de son épouse française, religieuse convaincue, il va – pas, mais alors pas du tout de son plein gré – s’acoquiner avec Dutch Albert et sa bande.

Tout ça paraît caricatural ? Certes. Mais c’est justement à cette déferlante d’images associées au genre du western et souvent déjà exploitées que « Never Grow Old » se ressource, en proposant une vision intimiste et familiale du grand récit de la conquête de l’Ouest. Lorgnant clairement du côté des classiques violents du genre, tel « Unforgiven » de Clint Eastwood, le film sait pourtant, grâce notamment à ce personnage principal de croque-mort, créer une distance bienvenue avec ses glorieux aînés.

On ne peut s’empêcher, alors que les réactions en chaîne provoquées par l’arrivée des hors-la-loi alimentent une spirale de la violence inarrêtable, de penser à une métaphore de la société américaine d’aujourd’hui dans ses plus grands travers : bâtie sur une colonisation sévère, entretenue par une brutalité à peine larvée, parcourue par des frustrations aiguisées par des discours religieux omniprésents… Le parallèle est tellement limpide qu’il en fait peur. D’autant que, finalement, la fascination pour l’Amérique offre en retour une image pas vraiment plus plaisante à la vieille Europe. Le tournage effectué en Irlande et au Luxembourg renforce cette impression, dans une lumière naturelle qui fait ressortir la part d’ombre du récit.

De rédemption, de happy end, point non plus, ou en tout cas pas à l’écran. Le réalisateur Ivan Kavanagh ne laisse que peu d’espoir, ce qui rendra peut-être l’atmosphère trop sombre pour un certain nombre de cinéphiles. Mais comment pourrait-il en être autrement, puisque le cinéaste offre à Déborah François, repérée par les frères Dardenne dans le tout aussi sombre « L’enfant », le rôle de l’épouse ? Emile Hirsch se défend en père et mari aimant, entraîné malgré lui dans une escalade mortelle, mais dans le registre des belles gueules de western, c’est John Cusack qui remporte la mise, avec une composition parfaitement glaçante de chef de bande vicieux et sans aucun scrupule.

Il faut avoir le cœur bien accroché pour apprécier « Never Grow Old » parfois. Mais l’hommage qu’il rend au western tout en ne s’enfermant pas dans ses clichés est un fameux coup de jeune à un genre vénérable.

Aux Kinepolis Belval et Kirchberg.
 Tous les horaires sur le site.

L’évaluation du woxx : XXX


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