Dans les salles : Sheytan vojud nadarad

Ours d’or à Berlin, le film « There Is No Evil » a été présenté en clôture du dernier Luxfilmfest. En quatre parties intimement reliées par leur thème, il marque et bouleverse, dans un grand élan de cinéma libre.

Une interprétation à la fois naturelle et intense : Baran Rasoulof et Mohammad Seddighimehr dans le quatrième volet du film. (Photo : Trigon Film)

Condamné par deux fois à une peine de prison pour « propagande contre le régime » et assigné à résidence, le réalisateur Mohammad Rasoulof n’est pas allé recevoir la consécration remportée par son film à Berlin l’an dernier. À dire vrai, on comprend aisément que ce brûlot, tourné en toute discrétion et dont le fil rouge des quatre parties est la peine de mort, puisse déplaire à l’État iranien : celui-ci y est décrit sans complaisance dans sa volonté d’instaurer l’exécution comme un rite de passage pour certains conscrits, récompensés par trois jours de congé pour avoir « poussé le tabouret ».

C’est ainsi que dans les quatre courts métrages qui composent le film, les notions de culpabilité ou d’accommodement avec la responsabilité terrible d’enlever la vie sont au cœur de l’histoire. Mieux vaut ne pas trop en dévoiler, cependant : les procédés de la chute abrupte ou de la révélation inattendue sont communs aux quatre scénarios. C’est peut-être là, justement, que réside la petite faiblesse du film, puisque, à force de se torturer l’esprit – on comprend l’intention dès le premier quart –, on finit par déflorer chaque histoire.

Mais « There Is No Evil » a tant d’atouts que même les plus perspicaces lui pardonneront aisément. À commencer par sa mise en scène très fluide, qui immerge entièrement dans l’action. Pas d’effets de manche, pas de coquetteries : une caméra qui s’attache au quotidien, que ce soit à la ville ou à la campagne, et qui sait se faire discrète. Et puis des dialogues ciselés, dont certains, notamment dans le deuxième volet dont le début se déroule dans un dortoir militaire, ont un côté théâtral qui exacerbe le malaise. Car malaise il y a : déchirés entre l’obéissance nécessaire et l’horreur devant la perspective de tuer, les personnages réagissent de diverses manières, qui font l’objet des quatre traitements différents. Des liens étroits, tant scénaristiques que musicaux, relient cependant les épisodes. En filigrane est également évoquée l’envie de fuir le pays que ressentent beaucoup de jeunes, personnifiée dans le quatrième volet par une étudiante d’origine iranienne née et élevée en Allemagne, en visite chez son oncle.

Malgré la lourdeur de l’atmosphère, il y a une fascination certaine à regarder « There Is No Evil ». La tension reste continuellement présente, même dans les moments de détente, comme dans le troisième volet où une quasi-idylle champêtre nous est proposée… dont on sait qu’elle ne pourra pas être aussi parfaite que les plans sur la nature luxuriante nous le laissent supposer. Actrices et acteurs proposent une interprétation à la fois naturelle, comme la mise en scène, et habitée de contradictions et d’interrogations. À aucun instant on ne ressent de lassitude : c’est tout à l’honneur de Mohammad Rasoulof de conserver pendant deux heures et demie l’attention avec un sujet aussi difficile.

Mieux vaut donc avoir le cœur bien accroché à la vision de « There Is No Evil ». Mais la réflexion sur le mal annoncée dans le titre est bien ancrée dans la tête une fois la salle quittée. Dépaysement, beauté sobre des images, questionnement, tension narrative et actualité (l’Iran est un dossier de politique étrangère prioritaire de la nouvelle administration américaine) : un programme alléchant qui ravira les cinéphiles.

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

L’évaluation du woxx : XXX


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