Dans les salles : Slalom

Montrer les ressorts complexes de l’emprise psychologique qui peut conduire à l’abus sexuel, c’est le thème glissant que traite « Slalom », premier long métrage de Charlène Favier. Un récit troublant, qui dépasse la rhétorique simplifiée de la victime et du bourreau.

Briser la solitude de la championne, mais à quel prix ? (Photos : Charlie Bus Production)

Dans le dossier de presse, la réalisatrice explique que la jeune comédienne Noée Abita est son « alter ego ». C’est en effet de violences sexuelles subies pendant son adolescence dans le milieu du sport que Charlène Favier a tiré le scénario de « Slalom », même s’il lui a fallu longtemps avant de s’autoriser à le faire. En s’entourant de coscénaristes, elle a cependant réussi à trouver un certain recul : le film décortique les attitudes et les sentiments plutôt qu’il ne plonge dans ce qui aurait pu relever du sordide. Et, ce faisant, marque durablement les esprits.

Au début, la jeune Lyz intègre une section sport-études afin de concilier une future carrière de skieuse de haut niveau avec le lycée. C’est l’ex-champion Fred, joué par Jérémie Renier, qui fait office d’entraîneur. Rapidement, celui-ci voit en Lyz l’athlète qu’il pourra façonner à sa guise et qui lui assurera une nouvelle renommée. Et tout aussi rapidement survient une attirance physique pour l’adolescente, qui, heureuse qu’enfin quelqu’un s’intéresse à elle – sa mère va jusqu’à la laisser seule pour aller travailler à Marseille –, animée par la volonté de gagner des courses, ne repousse pas franchement l’adulte.

C’est donc sur la corde raide entre séduction et abus que marche le film : bien qu’elle sache que cette « relation » est malsaine et vouée à l’échec, Lyz ne dit pas non, mais reste passive, tout en engrangeant les bénéfices que son statut de chouchoute lui procure. Éclate alors à l’écran la confusion de l’adolescence, dans laquelle s’engouffre l’entraîneur pour abuser d’une élève. Rien ici n’est simple ni noir ou blanc. Si la loi est claire, elle, le film n’ira justement pas jusqu’à la procédure judiciaire, qu’on suppose inéluctable.

Côté distribution, si Noée Abita donne à son interprétation ce qu’il faut d’ambiguïté et de retenue – mais dans un registre qui varie peu tout le long du film –, on retiendra surtout le jeu très juste dans un rôle pas du tout évident de Jérémie Renier. Son personnage n’est pas plus salaud que celui de sa partenaire n’est manipulateur, et la performance est donc à souligner.

Ce premier film n’est naturellement pas parfait : on notera par exemple l’absence d’approfondissement des interactions avec les personnages secondaires. Il s’agit peut-être d’une volonté de concentrer l’histoire sur les deux personnages principaux pour refléter le caractère exclusif de leur relation. Mais ce choix induit certains raccourcis temporels qui conduisent à faire l’impasse sur la mise en place progressive des abus. La mère absente ou les condisciples jaloux apparaissent ainsi dans des scènes plus explicatives qu’intégrées à un récit bien mené. Qu’à cela ne tienne : « Slalom », malgré quelques défauts narratifs, parvient à installer une ambiance ambiguë qui captive l’attention.

Il est fort à parier que le refus d’ériger Lyz en victime et Fred en bourreau ne plaira pas à tout le monde, dans une société où les clivages constituent souvent une marque d’identité. Mais c’est là le lot de tous les bons films. En plus, les sorties ne sont pas encore nombreuses en ces jours de reprise cinématographique en France et ailleurs. Aucune raison de bouder cette histoire intelligente, même si – et surtout si ! – elle dérange.

À l’Utopia. Tous les horaires sur le site.

L’évaluation du woxx : XX


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