Entreprises et droits humains : « Je pense à lui à chaque seconde qui passe »

Les familles de deux défenseurs des droits humains enlevés au Mexique témoignent de leur détresse et de leur colère contre Ternium, une multinationale luxembourgeoise dont elles disent la responsabilité, au moins indirecte, dans ce kidnapping.

Défenseurs des droits humains et proches de Ricardo Lagunes et Antonio Díaz manifestent à Mexico. (Photos : d.r.)

À l’autre bout du monde, au Mexique, la maman de Ricardo Lagunes, Ana Lucia, retient ses larmes, sa voix s’étrangle, ses mots s’entrecoupent de longs silences : « Je pense à lui à chaque seconde, à chaque minute qui passe. Je suis si triste qu’il ne puisse pas être avec sa fille de quatre ans. Je me sens à la fois démoralisée et en colère parce que je ne peux rien faire. J’espère tellement qu’ils vont revenir vivants. » Avant d’être affaire de multinationale et de droit, l’enlèvement de Ricardo Lagunes et Antonio Díaz est d’abord un drame intime pour leurs familles.

Ces deux défenseurs des droits humains ont disparu le dimanche 15 janvier sur une autoroute de l’État de Michoacán, dans l’ouest du Mexique. Ils venaient de participer à une réunion communautaire sur un contentieux opposant les habitants d’Aquila à Ternium. Cette multinationale au capital italo-argentin est l’un des plus importants sidérurgistes d’Amérique du Sud, mais c’est boulevard Royal, à Luxembourg, qu’il a établi son siège mondial. Le groupe exploite une mine de fer à Aquila et a versé pour cela des compensations financières à une partie seulement de la population. Ricardo Lagunes et Antonio Díaz luttent depuis des années en faveur d’une indemnisation de toutes les parties lésées. Le premier est un avocat de 41 ans et le second un enseignant et leader communautaire de 71 ans. Tous deux ont été menacés avant leur enlèvement.

Ce mercredi 15 mars, deux mois jour pour jour après leur disparition, la coalition luxembourgeoise « Initiative pour un devoir de vigilance » et l’ONG américaine Global Rights Advocacy ont réuni des membres des familles des deux hommes et des journalistes de plusieurs pays au cours d’une visioconférence. Il s’agissait de faire le point sur la situation et donner davantage d’écho médiatique à l’affaire, afin de faire bouger Ternium mais aussi les gouvernements mexicain et luxembourgeois.

Interrogé début février par woxx, ce dernier affirmait prendre « très au sérieux » ces disparitions. Il a depuis pris contact avec les autorités mexicaines et, dans un courrier, les ministres des Affaires étrangères et de l’Économie ont demandé des explications à Ternium. Les ONG luxembourgeoises qui suivent le dossier demandent que la réponse de la multinationale soit rendue publique, alors que leur propre missive au patron de Ternium, Paolo Rocca, reste sans réponse depuis près de deux mois.

« Les multinationales font la loi »

« Nous saluons nos échanges avec le gouvernement et son engagement, mais nous devons aussi rappeler qu’une simple lettre à Ternium, ce n’est pas suffisant : il y a d’autres moyens à disposition d’un gouvernement pour agir », appuie Jean-Louis Zeien, de la coalition luxembourgeoise. « Face à l’urgence, nous avons aussi demandé l’intervention des États-Unis et de l’Argentine, mais la seule vraie question qui se pose reste sans réponse : où sont-ils ? », déplore Alejandra Gonza, directrice de Global Rights Advocacy et avocate des familles. « Ces cas affectent la paix, et les multinationales ont le devoir de faire respecter les droits humains et leurs défenseurs dans une région en proie au crime organisé », complète-t-elle, en référence aux cartels qui mettent une partie du pays en coupe réglée.

Ternium dément son implication dans l’enlèvement et assure le service minimum vis-à-vis des familles. « Ils ont envoyé très exactement le même message de solidarité à chacun de nous », témoigne Keivan, le fil d’Antonio Díaz. « Ils disent qu’ils ont noué de bonnes relations avec les familles, mais en réalité il n’y a pas de relation. » Tour à tour, mère, père, frère et épouse de Ricardo Lagunes disent leur colère contre Ternium, un acteur « très puissant dans la région », qui a les moyens d’agir pour la libération des deux hommes. Les familles jugent le groupe luxembourgeois responsable des divisions et violences qui déchirent la population.

Avant toute chose, María Magallón, l’épouse de l’avocat, salue le combat de son mari contre les multinationales. Elle en veut à l’État mexicain car il « alloue des concessions minières puis abandonne les populations à leur sort ». Elle accuse les autorités locales d’inaction depuis l’enlèvement de son mari. « C’est comme si sa disparition ne concernait personne. Dans ce pays, ce sont les multinationales qui font la loi », dit-elle avec détermination. À ses côtés, sa petite fille fait des bonds sur le canapé, avec toute l’insouciance de ses quatre ans.


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