France : Le retour de Monsieur Veto

Malgré sa défaite aux législatives, Emmanuel Macron refuse de nommer à Matignon la première ministre proposée par le Nouveau Front populaire, sorti en tête des élections. Le président français s’entête dans le déni de démocratie et entend imposer la poursuite de sa politique de régression sociale.

Fumée blanche après trois semaines de conclave : ce mardi 23 juillet, le Nouveau Front populaire (NFP) a enfin proposé une personnalité pour le poste de première ministre, alors qu’il était arrivé en tête à l’issue du second tour des législatives du 7 juillet. Il est peu dire que l’accouchement a été difficile, tant les négociations pour s’entendre sur un nom ont fait ressurgir les divisions entre les partis composant la coalition née au lendemain des européennes et de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale. Au point de désespérer l’électorat qui lui avait accordé sa confiance sur un programme de rupture, résolument ancré à gauche.

Le NFP s’est finalement décidé pour le nom de Lucie Castets. Haute fonctionnaire de 37 ans, elle est inconnue du grand public. Cette experte de la répression de la fraude financière travaille actuellement à la mairie de Paris, après être passée par le Trésor. Elle n’est encartée dans aucun parti, mais milite au sein du collectif « Nos services publics », qu’elle a cofondé en 2021. Dans sa première déclaration publique, elle a dit accepter sa mission « en toute humilité, mais avec beaucoup de conviction », jugeant être une candidate « crédible et sérieuse » pour Matignon.

Emmanuel Macron a balayé cette option d’un revers de la main, moins de deux heures après l’annonce du NFP. Dans une intervention sur France 2 et France Info, en principe dédiée aux Jeux olympiques, le président a posé son veto à sa nomination. Avec l’aplomb dont il est coutumier, il a décrété une « trêve olympique », renvoyant la formation d’un nouveau gouvernement au plus tôt au 15 août. « Le sujet n’est pas un nom donné par une formation politique. La question, c’est : quelle majorité peut se dégager à l’Assemblée pour qu’un gouvernement puisse passer des réformes, passer un budget et faire avancer le pays ? », a-t-il déclaré. Traduction : Macron veut un « front républicain » allant de la gauche à la droite de LR (qui avait pourtant refusé de jouer le jeu des désistements pour faire barrage au RN). Au cœur de ce « bloc central » figurerait sa formation, rebaptisée Ensemble pour la République (EPR), avec pour mission la poursuite de son programme de régression sociale en faveur des plus nanti·es.

Glissement irresponsable

Si, au cours de cette même intervention, Macron a enfin fini par reconnaître la défaite de son camp (la deuxième consécutive), il refuse toujours de prendre en compte l’appel au changement que lui a adressé l’électorat. Sur le plan programmatique, il consent, sans surprise, à une ouverture vers la droite et son « pacte législatif », qui s’oppose farouchement à un rééquilibrage fiscal, veut lutter contre ce qu’elle appelle l’assistanat et fantasme un projet sécuritaire et liberticide flirtant avec les idées de l’extrême droite. Il n’envoie en revanche aucun signal en direction de la gauche. Pire, il a affirmé qu’il était exclu de « défaire ce qu’on a fait », en évoquant sa très contestée réforme des retraites.

Lucie Castets a d’ores et déjà annoncé que l’abrogation de celle-ci sera l’une de ses priorités, parmi lesquelles elle liste aussi une « grande réforme fiscale pour que chacun, individus et multinationales, paie sa juste part », une « amélioration du pouvoir d’achat » par la revalorisation des salaires et la « fin de la régression des services publics ». Dans ces conditions, on voit mal comment la gauche pourrait céder aux sirènes macronistes.

La Constitution de la Cinquième République confère certes au seul président le pouvoir de nommer le chef du gouvernement. Mais l’usage républicain veut qu’il appelle à gouverner la formation sortie en tête des élections, quand bien même elle ne disposerait pas d’une majorité absolue, ce qui est le cas du NFP et de ses 193 élu·es. Des constitutionnalistes, la gauche, mais aussi des voix à droite, comme celle de l’ancien premier ministre Dominique de Villepin, l’exhortent à respecter cette règle démocratique élémentaire. Quitte à revoir la copie si le gouvernement est désavoué par le Parlement. Ou au président de démissionner si le pays s’avère ingouvernable.

Macron n’entend cependant pas se conformer à la volonté démocratique des Français·es, poursuivant son glissement irresponsable vers un régime aux limites de l’illibéralisme. Même s’il ne pourra s’opposer indéfiniment au verdict des urnes, il endosse pour l’instant le costume de Monsieur Veto, le surnom donné à Louis XVI au début de la Révolution française.


Cet article vous a plu ?
Nous offrons gratuitement nos articles avec leur regard résolument écologique, féministe et progressiste sur le monde. Sans pub ni offre premium ou paywall. Nous avons en effet la conviction que l’accès à l’information doit rester libre. Afin de pouvoir garantir qu’à l’avenir nos articles seront accessibles à quiconque s’y intéresse, nous avons besoin de votre soutien – à travers un abonnement ou un don : woxx.lu/support.

Hat Ihnen dieser Artikel gefallen?
Wir stellen unsere Artikel mit unserem einzigartigen, ökologischen, feministischen, gesellschaftskritischen und linkem Blick auf die Welt allen kostenlos zur Verfügung – ohne Werbung, ohne „Plus“-, „Premium“-Angebot oder eine Paywall. Denn wir sind der Meinung, dass der Zugang zu Informationen frei sein sollte. Um das auch in Zukunft gewährleisten zu können, benötigen wir Ihre Unterstützung; mit einem Abonnement oder einer Spende: woxx.lu/support.
Tagged .Speichere in deinen Favoriten diesen permalink.

Die Kommentare sind geschlossen.